samedi 9 mai 2015

Un jeune poète

Film réalisé par Damien Manivel ; avec Rémi Taffanel, Enzo Vassallo, Léonore Fernandes ; sortie en France le 29 avril 2015

Un jeune poète est un film à la fois exigeant et frais. D'une part, il demande un réel effort de concentration, en raison de la lenteur du rythme, de la répétition de certaines scènes, du côté visiblement improvisé des dialogues entre les personnages, bref, de l'ensemble de ses caractéristiques qui l'apparentent à un film expérimental. D'autre part, il forme un ensemble très attachant et rafraîchissant (i) en raison de la candeur de l'interprète/personnage principal, prenant la vie, les événements et les personnes croisant son chemin comme ils viennent, (ii) en raison des décors superbes (différents quartiers de Sète, près de la mer comme en hauteur, pendant la belle saison, le film étant presqu'entièrement tourné en extérieur, exceptions faites d'une scène au musée et une autre dans un bar), ou encore (iii) en raison de l'intérêt représenté par le parcours initiatique tout au long duquel nous suivons Rémi, le héros du film.

Si bien que les "défauts" du film finissent par s'estomper à mesure que ses qualités s'imposent au spectateur, cela même après que les lumières de la salle se sont rallumées -- Rémi, sa gaucherie attendrissante, ses rodomontades ridicules ("je suis un intellectuel/cérébral parlant avec des gens simples", même s'il ne dit pas cela explicitement, néanmoins sa condescendance, même inconsciente, est parfois perceptible), ses doutes, la façon catastrophique dont il s'y prend avec son amoureuse Léonore. En bref, tous les traits qui donnent vie à son personnage s'enfoncent au sein de la mémoire du spectateur, suffisamment profondément pendant le temps que dure le film (70 minutes) pour demeurer avec lui longtemps encore après la fin de la projection.

La réussite du film provient donc de l'adéquation parfaite entre (i) son fond et (ii) sa forme :

(i) L'histoire s'attache à suivre, pas-à-pas, le parcours initiatique du personnage qui se destine à la poésie, a le projet d'écrire de grands poèmes, et donc se soumet à de pénibles efforts pour trouver l'inspiration et coucher sur les pages de son carnet bleu les quelques vers qui lui sont chichement soufflés par les muses.

(ii) On a l'impression que le film est réalisé au fil de l'eau, au gré des situations auxquelles le héros se trouve confronté, sans que le scénario n'assigne aux actes du personnage, ni aux situations dans lesquelles il se trouve pris, un rôle précis dans le déroulement d'une intrigue réduite à sa plus simple expression. Il s'agit moins d'une intrigue que d'une succession de sketches impliquant un personnage central qui rencontre des personnages secondaires qui reviennent à tour de rôle : l'amoureuse Léonore, le copain Enzo en particulier.

Loin d'être directif, le scénario laisse une grande place à l'improvisation des dialogues entre les personnages ou même des monologues que parfois Rémi entame avec lui-même, comme lorsqu'il se recueille devant la tombe de Paul Valéry enterré dans le magnifique cimetière de Sète, situé sur les hauteurs de la ville, offrant au spectateur une vue panoramique sur la Grande Bleue.  

On suit ainsi Rémi dans ses succès, ses hésitations, ses doutes. Il semble avoir le contact facile avec les personnages qu'il rencontre, qui le considèrent d'un oeil étonné compte tenu de l'originalité de ses activités poétiques, mais néanmoins il parvient à gagner leur sympathie et leur bienveillance.

La fin du film laisse en suspens la question de savoir s'il a du talent ou pas, s'il va réussir ou pas -- les plus grands doutes semblent permis. Cela provient du fait peut-être que Rémi a une approche trop extérieure de la poésie. Certes il cherche à devenir poète, ce qui est tout à fait acceptable, respectable et louable, mais parfois il donne davantage l'impression de chercher à se donner des airs de poète, sans chercher assez au fond de lui-même les qualités qui feraient de lui un poète. Autrement dit, la poésie ne semble pas jaillir de l'intérieur de son être comme elle pouvait supposément jaillir de l'esprit de Rimbaud, par exemple. Au contraire, dans son cas, elle semble sécrétée goutte à goutte par un labeur interminable, douloureux et pénible, dénué de la moindre folie inspiratrice ni de la moindre joie. Comme le lâche le réalisateur dans un intretien écrit reproduit plus bas, Rémi "ne trouve pas en lui la raison pour laquelle il doit écrire".

Un film intéressant, dont le caractère réaliste saura toucher le spectateur qui pourra s'identifier au héros rendu au seuil de sa vie et soumis aux affres de la création.

NB : Un jeune poète est projeté en salle avec La Dame au chien,  tourné quatre ans plus tôt en Seine-Saint-Denis avec le même acteur/personnage principal. Sur la juxtaposition entre les deux oeuvres, et concernant également le tournage d'Un jeune poète, voir l'intretien vidéo donné par Damien Manivel au Bloggers Cinema Club.


 


















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