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22 mai 2015 5 22 /05 /mai /2015 08:00

Une fois terminé, un film reste le même pour tous. D’un point de vue technique. Parce qu’au moment de sa projection, nous ne voyons pas tous le même film. J’irai même jusqu’à dire que personne ne voit le même film. Le réalisateur a beau s’échiner à produire l’œuvre la plus proche de ce qu’il avait en tête, c’est sans compter votre arrivée en retard dans la salle qui ampute le film dans sa durée mais aussi sa compréhension, sans compter les bruits de pop-corn de vos voisins qui s’ajoutent à la bande sonore, et même les clignements de vos yeux qui refont le montage. Je souscris volontiers à cette réjouissante théorie. Probablement parce qu’elle nous fait nous sentir un peu plus unique, un peu plus proche d’une élite. Vous pouvez remplacer le mot « élite » par « public » et en le mettant au pluriel vous vous apercevrez de la complexité pour des distributeurs à analyser et délimiter des publics, alors qu’au singulier il est plus facile d’en maîtriser l’approche puisque l’on va chercher à plaire à tout le monde.

 

Si je vous explique cela c’est parce que la projection à laquelle j’ai assisté était destinée à une élite. Et parfois, l’élite à laquelle on appartient n’est pas forcément celle dans laquelle on vous classe. Comme il était question d’une projection de presse, vous imaginez bien évidemment l’élite en question. Sauf qu’il ne s’agit là que d’une case à cocher, d’un jugement de valeurs, d’une apparence première, étant donné qu’ici l’élite ne peut être ramenée à un concept de public (puisque cette projection n’est pas destinée à mettre en évidence les réactions d’un public, mais vise plutôt à développer a posteriori une opération marketing déjà amorcée). Ca, c’est le corps sociologique de l’élite en rapport avec notre monde. D’un point de vue cinéphilique, je faisais partie d’une élite qui a vécu une expérience que vous ne vivrez probablement jamais. Nous étions conviés à voir sur grand écran un long métrage qui ne sortira jamais en salles. Ceci n’étant qu’une coïncidence avec ces films scandaleusement oubliés du circuit, dont je parlais la fois dernière.

 

Oui, il y a de quoi se sentir faire partie d’une élite quand on sait que personne n’aura droit à l’expérience qui nous est offerte.

 

L’explication à cela est signée Wild Bunch et sa filiale Wild Side, dont le directeur n’est autre que Vincent Maraval. Je rembobine pour ceux qui n’avaient pas la fibre optique à l’époque : Vincent Maraval est celui qui avait écrit une lettre dans Le Monde, fin 2012, où il dénonçait les salaires exorbitants des acteurs français et invitait à plus d’égalité. Il fallait entendre par là : plus d’égalité pour les distributeurs, puisque nous comprendrions plus tard qu’il ne s’agissait pas là d’un message hautement désintéressé et purement égalitaire, mais qu’il œuvrait pour les propres intérêts de sa boîte. Deux ans plus tard, le C.N.C. annonça des mesures pour plafonner le salaire des acteurs, qui restent toujours trop cher payés.

 

En dénonçant abus et injustices, Vincent Maraval s’assurait le soutien du public, de la profession et des bien-pensants, devenait le défenseur des plus petits face aux mastodontes qui s’octroyaient quasiment tout le gâteau, et revêtait ainsi le masque qui pouvait être celui de Marin Karmitz à ses débuts. Ca peut faire rire quand on voit où ça mène. Ca peut aussi faire pleurer.

 

Revoilà donc aujourd’hui Wild Bunch qui refait parler d’elle après sa première tentative réussie l’année dernière de déporter le cinéma des salles à l’internet. Pour ce faire, ils ont mis en place une stratégie de développement progressive de leur e-cinéma. A commencer par renommer ce service puisqu’il ne s’agit simplement que de V.O.D. inédite. Comme cela n’avait rien de révolutionnaire voire de simplement remarquable (et parce qu'ils considèrent que la V.O.D. est assimilée par le public aux films que le cinéma n'a pas voulu, donc des films de second ordre, vous voyez l'esprit ?), Wild Side décida d’avoir recours à ce qui avait bien marché pour le Ferrara : un coup marketing. Une fois la mention « nouvelle recette » inscrite sur l’emballage, on s’aperçoit que, techniquement, tout cela n’a rien de cinématographique et n’est qu’un concept visant à exploiter le marché émergent de la V.O.D. Même que c’est un chouette secteur, la V.O.D. Elle correspond à ce qu’étaient les vidéoclubs dans les années où l’on portait des pulls jacquard. Et c’était diablement excitant (les vidéoclubs, pas les pulls jacquard) parce qu’on pouvait découvrir grâce à leur jaquette, plein de films de genre qui n’avaient pas eu droit à une sortie honnête et/ou qui étaient dédaignés par la critique. Alors la V.O.D. c’est l’ouverture sur la possibilité d’avoir accès à plein de films de cultures différentes, à du vrai genre et à plein de films plus braques que la moyenne déjà pas bien élevée. Mais pour cela, il faut vouloir prendre quelques risques. Il faut oser aller à la rencontre de tous ces films d’ozploitation encore inconnus chez nous, il faut mettre le nez dans ce que le polar italien a fait de plus jouissif, il faut pouvoir explorer le cinéma scandinave pour en exporter ses pépites cachées etc. Parce qu’avec KVINDEN I BURET, l’un des plus gros succès du cinéma danois, Wild Side ne prend des risques que très limités, comme en témoignent aussi les prochains films qu’ils annoncent :

WHAT WE DO IN THE SHADOWS de Jemaine Clement et Taika Waititi (été 2015)

99 HOMES de Ramin Bahrani (septembre 2015)

ONE CHANCE de David Frankel (automne 2015)

THE GREEN INFERNO d’Eli Roth (quatrième trimestre 2015)

SINISTER 2 de Cirian Foy (quatrième trimestre 2015)

et INCARNATE de Brad Peyton (début 2016).

Vous le voyez, la solution finale est en marche. Cela fait un moment que nous le sentions venir, à force de tergiversations, d’essais avortés, de conservateurs donnant de la voix, d’autorités à la solde du plus offrant, et la bûche fondait tranquillement sur la table pendant ce temps-là. Et puis l’un des convives se leva et sortit une autre bûche du congélateur. Et alors que tous ceux qui étaient autour de la table n’avaient pas voulu entamer la précédente de peur de passer pour « Celui qui causa la perte de la si délicieuse Bûche Glacée », ils comprirent cette fois-ci que s’ils ne prenaient pas leur part, non seulement ils auraient encore faim, mais en plus quelqu’un d’autre la mangerait à leur place. It’s part of the process. L’évolution normale du secteur. C’est ici que s’amorce aujourd’hui le virage du cinéma. Tout se joue dans la niche du numérique engagée dès la refonte des salles au début des années 2000. Difficile de dire comment tout cela finira. Le combat n’est pas cinéma contre internet. Tout comme l’arrivée de la télévision ne s’opposait pas non plus à la survie du cinéma. Ce qui est plutôt au centre des préoccupations c’est de savoir quels films nous seront proposés. Aura-t-on le choix de la diversité ? Aura-t-on le choix de les voir en salles ? La réponse est non, comme je l’expliquais la fois dernière. Mais comment vont se scinder les deux modes majeurs de diffusion des films ? Car il est bien là l’épineux problème que souligne l’e-cinema de Wild Bunch et que mon élite et moi avons pu toucher du doigt. Qu’une petite boîte se batte avec ses moyens, c’est-à-dire en faisant preuve d’imagination pour se démarquer, en trouvant de nouveaux circuits, cela paraît normal, c’est ce à quoi elle en est réduite. Mais une boîte comme Wild Bunch ? Ils sont quand même parmi les premiers dans leur domaine, ils ont la possibilité s’ils le souhaitent de sortir un film en salle. Au lieu de cela, ils prétextent l'encombrement des salles pour développer le cinéma en ligne. Pourquoi pas. Ce n’est pas l’intérêt pour ce média qui est rageant, c’est plutôt le désintérêt pour ce qui fait l’essence de la projection cinématographique. Et vous n’aurez pas le choix. Déjà plus le choix du 35 millimètres depuis des années. Pas le choix, pas la possibilité l’année dernière de découvrir le Ferrara sur grand écran, dans le noir, avec des inconnus autour de vous et cette horrible odeur de pop-corn. Parce que les distributeurs ne savent plus vendre certains films ou certains réalisateurs. Ils ne savent plus faire que du marketing, créer du buzz. S’ils défendaient un artiste, une vision ou même une idée, ils iraient jusqu’à le mettre où il le mérite. En vérité, ils ne le défendent pas car ils ne croient pas en Ferrara et se fichent pas mal de vous donner la possibilité de le voir en salles. Parce qu’en-dessous de ses discours avenants sur le cinéma, Vincent Maraval dirige une entreprise avant tout capitaliste.

 

Alors, tout élitiste que je suis, me voilà à la projection de KVINDEN I BURET de Mikkel Nørgaard, qui doit être le premier e-film à lancer la campagne de Wild Bunch en 2015. Et pour nous soigner aux petits lardons, Wild Bunch offre à notre élite le privilège de visionner le film dans une vraie salle de cinéma. Pour l’instant je suis une élite, je redeviendrai Charlie demain.

 

Mais pour bien rendre compte de ce qu’est l’expérience e-cinéma de Wild Bunch, il aurait fallu nous proposer de télécharger le film via notre ordinateur, et le regarder en peignoir molletonné dans notre fauteuil en cuir, une coupe de champagne à la main, comme chaque internaute aurait fait en son humble demeure. Au lieu de cela, c’est le grand jeu. Après tout, être une élite donne forcément accès à quelques avantages bien mérités. A moins que l’élite ne soit pas celle supposée. A moins qu’il n’y ait pas plus de privilèges que de cinéphilie. A moins que Wild Bunch ne redoute une certaine réaction face au film et à l'e-cinéma en particulier, comme ceux qui pourraient écrire que le grand avantage c’est que l’on peut regarder ce film et faire autre chose en même temps, ou profiter des temps morts pour aller se servir une coupe de champagne, passer par la case toilettes, sortir le chien etc. Probablement que ce n’est pas une bonne idée de promotion. Alors, comme toujours dans ces cas-là, le but est d’orienter la campagne publicitaire. Et pour cela, le meilleur moyen c’est de créer une élite.

 

Voici donc l’élite qui prend place au cinéma Elysées Biarritz, situé à Paris et non dans une ville du Sud de la France comme pourrait le faire croire son nom, sans doute pour déjouer une tentative d’attentat ourdie par Pépito, la filiale maléfique de Lu. Nous sommes dans une vraie belle salle avec une projection en 4K qui donne une image radieuse. Nous sommes confortablement installés, avec beaucoup d’espace. Le son est énorme, j’aime beaucoup quand il est calibré de la sorte. La salle est très chaleureuse, on y voit bien partout. Les conditions seraient parfaites si le pays ne s’enfonçait pas dans la crise économique, et si je pouvais choper un taxi dès que je sortirai de la salle. Avant cela, place à KVINDEN I BURET, second film de Mikkel Nørgaard après KLOVN : THE MOVIE, film issu de la série télévisée KLOVN dont il avait réalisé bons nombre d’épisodes. KLOVN : THE MOVIE est aussi balourd dans sa conception que dans son humour. C’est un film anecdotique bourré d’effets qui cachent l’absence de mise en scène (overdose de jump cuts, mauvais raccords, zooms explicatifs...) Ajoutée à cela, une caméra qui ne cesse de bouger pour garder un effet « pris sur le vif » mais qui ne parvient qu’à créer l’effet « enfant qui découvre les boutons de sa nouvelle caméra ». Nous devinons aisément que le réalisateur lorgne vers le Dogme, lorsque Lars Von Trier, dans ses pires travers, voulait réinventer le cinéma alors qu’il le découvrait, ou même lorsque Thomas Vinterberg nous prenait en otage avec le scénario de son JAGTEN, puisque KLOVN : THE MOVIE n’est ni plus ni moins que l’histoire d’un homme à qui l’on fait subir outrages, humiliations et situations embarrassantes sans lui laisser aucune chance. Bref, tout cela n’augurait pas grand-chose de bon pour le film que nous allions découvrir.

 

KVINDEN I BURET est le premier film d’une saga dont Mikkel Nørgaard a déjà réalisé le deuxième épisode (FASANDRÆBERNE), qui, lui, a eu droit à une sortie en salles. C’est donc la stratégie de Wild Bunch : mettre le premier à disposition en V.O.D. et sortir le suivant au cinéma, pour pouvoir draguer un maximum de personnes et les fidéliser sur internet. Ce qui confirme bien qu’ils n’ont que faire de ceux qui aiment la série et souhaiteraient continuer à la voir projetée sur grand écran.

 

Au départ, il s’agit de romans danois écrits par Jussi Adler-Olsen et regroupés sous le titre-serial LES ENQUETES DU DEPARTEMENT V. 6 histoires ont été écrites sur les 10 prévues, et 5 ont déjà été traduites en français. Bien sûr, toutes doivent faire l’objet d’une adaptation cinématographique. Et Wild Side espère bien qu'elles seront les fers de lance de son catalogue. Pour ma part, je n’ai rien lu de tout cela, je ne sais rien du film et de la saga ; j’appréhende donc KVINDEN I BURET de la meilleure des façons.

 

Ca démarre très vite avec une scène d’introduction qui pose en quelques minutes l’ancien métier de Nikolaj Lie Kaas. Inspecteur de la police criminelle, une intervention tourne mal, son coéquipier sera tué et son meilleur ami finira sur un lit d’hôpital. Hop, générique, passons à ce qui intéresse le réalisateur : le département V. C’est sûr, nous savons déjà que nous n’entrerons pas dans l’exploration des profils psychologiques. Et c’est dommage parce que vous gagnez toujours à prendre du temps à installer le quotidien, les habitudes de votre personnage, surtout quand il subit un événement qui va changer le cours de sa vie. C’est source de scènes qui se répondent, d’oppositions scénaristiques, parfois de dualités, souvent de jeux de miroirs, et surtout cela permet de respecter ses personnages en les liant au récit, et donc en évitant que celui-ci ne soit que la raison d’être du film. THE DEER HUNTER fonctionne sur ce principe. Retirez la première partie qui ne décrit que la vie commune de ces quelques amis et le film ne fonctionne plus car il est bâti sur cet équilibre, comment il se perd dans le film, comment il peut ou non se reconstruire plus tard.

 

L’identité visuelle de KVINDEN I BURET se lit clairement. Le Scope n’a aucun intérêt puisque le réalisateur ne joue jamais avec les points de fuite. Les lumières sont basses, la photographie est volontairement sombre, les ombres fleurissent partout. Eric Kress, le directeur de la photographie, semble avoir bien compris ce qui faisait la marque de fabrique des polars et il compte l’appliquer à la lettre. Il s’est déjà essayé au genre à plusieurs reprises mais je préfère nettement son travail sur MAN SOM HATAR KVINNOR, par exemple. Ici, tout effet paraît comme un passage obligé, une composante essentielle du film noir, qu’il faut absolument obtenir sans quoi ce ne serait pas un film noir. C’est l’absence de couleurs franches, c’est des ambiances mornes, c’est des décors sans vie. En fait, ça pue le cahier des charges à plein nez ! Si l’on part du principe qu’un genre nécessite des figures imposées, vous pouvez être sûr que le spectateur sera en droit d’attendre qu’elles arrivent car il les sent arriver. C’est ce qui va se passer dans l’enquête que les deux protagonistes principaux vont devoir mener (Nikolaj Lie Kaas et son acolyte Fares Fares). Les voilà à la tête du Département V. Le premier a perdu son boulot, son coéquipier est mort, son meilleur ami est devenu un morceau de plâtre, sa femme l’a plaqué et son fils ne lui parle plus. Le second voit dans ce nouveau travail une belle promotion puisqu’avant il ne faisait qu’apposer des tampons sur des dossiers. Leurs parcours opposés vont devenir complémentaires dans ce boulot d’archive. Ils doivent reprendre des affaires non élucidées, les synthétiser et les classer au rythme de 3 par semaine. Mais ils vont prendre ce travail plus à cœur qu’ils ne devraient et commencer à enquêter sur des affaires qu’ils vont forcément élucider. A partir de là, nous nous disons que leur supérieur va bien finir par s’apercevoir des dossiers qu’ils rouvrent alors qu’ils sont censés les fermer, et qu’à moment donné ils vont se faire remonter le caleçon. Et c’est ce qui arrive ! Quand ils rencontrent le mutique Mikkel Boe Følsgaard, nous nous doutons bien qu’ils vont devoir apprendre à communiquer avec lui puisque c’est lui le chaînon manquant. Et c’est ce qui arrive ! Tant et si bien que le film progresse et vous avez sans cesse un coup d’avance sur la réalisation, jusqu’au dénouement où les quinze dernières minutes sont attendues, convenues, sans aucune surprise. Si tout cela est si simple à deviner pour le spectateur, c’est parce l’intrique n’est complexe en rien, elle est même d’une trivialité déconcertante, mais le film ruse sans cesse et essaye de nous faire croire le contraire, pour créer du suspense et des voies secondaires factices. Pour cela, il joue sur deux axes qu’il convient de mettre à jour.

 

Comme je le disais plus haut, le film c’est le dossier. Le réalisateur s’en contente, et c’est aussi ce qui explique pourquoi l’introduction n’était pas plus étoffée. Nos deux protagonistes vont donc partir de A pour arriver en B. Jusqu’ici c’est une façon très logique et très efficace de raconter une histoire. Or, le film ne progresse pas véritablement de cette manière.

 

L’intrigue concerne une femme politique qui a disparu cinq ans plus tôt et qui n’a jamais été retrouvée. En fait, elle a été enlevée par un déséquilibré qui la retient prisonnière dans une cabine pressurisée le temps que les deux policiers résolvent l’enquête. Pour parvenir jusque-là, KVINDEN I BURET choisit de suivre Nikolaj Lie Kaas et Fares Fares dans leurs avancées, et de nous montrer parallèlement, à l’aide de flashbacks, quelle était la vie de Sonja Richter, son enlèvement et sa séquestration. C’est un procédé quelque peu pervers car il donne l’impression que les enquêteurs découvrent tout ce que nous apprenons au fur et à mesure des flashbacks. Certains fonctionnent en ce sens, mais d’autres sont clairement des éléments qu’ils ne peuvent pas déduire de leurs recherches, comme la vie que menait Sonja Richter avant de disparaître, et surtout tous les détails concernant son enfermement. La conséquence de tout cela c’est que, par facilité scénaristique, les deux policiers réagissent comment s’ils avaient connaissance de choses qu’ils ne peuvent pas savoir. A cet égard, ils se conduisent tout le temps comme s’ils savaient que la jeune femme était encore en vie. La déduction par laquelle ils arrivent à comprendre qu’elle se trouve dans le lieu où ils arrêtent le coupable paraît aussi très alambiquée. Ce sont des béquilles scénaristiques qui ne parviennent pas à cacher que l’enquête qu’il ont à résoudre se réduit à retrouver la trace d’un homme. Un polar telle une peau de chagrin. Alors les flashbacks n’interviennent que pour maintenir une action par procuration, pour pouvoir nous faire accepter la poursuite de cette enquête. C’est ainsi qu'ils sont disséminés à bon escient au cours du film, au lieu de nous livrer d’un seul trait tout ce que nous devrions connaître. Cet artifice scénaristique s’appelle de la rétention d’informations. Et en général on appelle ces auteurs des petits malins.

 

KVINDEN I BURET est assurément un film de scénario. Nørgaard ne filme quasiment rien d’autre. Le piège de l’information c’est de faire un film trop narratif. Je vous offre un exemple. Lorsque nous faisons connaissance avec Sonja Richter, nous la suivons dans sa journée de politicienne, puis, le soir, elle rentre chez elle où l’attend un homme qu’une aide médicale garde. Cette dernière s'en va et Sonja se met à jouer au backgammon avec lui. Est-ce son fils ? Son mari ? Nous ne savons pas. Alors elle se met à lui raconter une histoire (en fait, c’est à nous qu’elle la raconte). Celle d’une représentation théâtrale qui a eu lieu lorsqu’elle était en quatrième. Elle lui demande s’il s’en souvient. C’est lui qui lui avait soufflé toutes les répliques ce jour-là. Elle finit par dire à peu de choses près : « Heureusement que mon frère était là et connaissait la pièce par cœur ! » Vous comprenez la différence entre ce qui peut se dire et ce qui peut se raconter ? Evidemment que cette phrase est là pour nous informer que l’homme est son frère. Mais aucun spectateur ne veut des informations. Nous voulons des émotions ! Un réalisateur doit toujours s’interdire de présenter toute information, qui plus est de présenter un personnage. Parce que depuis 2300 ans c’est encore Aristote qui a raison : le personnage n’existe pas. Alors, le réalisateur doit susciter le mystère et l’interrogation chez le spectateur qui finira tôt ou tard par comprendre ce qui n’est pas verbalisé de prime abord. Nøorgaard n’avait pas besoin de nous présenter ni Sonja ni son frère. Ce n’est pas à eux de raconter l’histoire. C’est le réalisateur qui raconte. C’est un bon exemple qui montre parfaitement que le scénariste a pris l’ascendant sur le film et que c’est à ce moment-là que le réalisateur doit prendre ses distances et démontrer que le meilleur moyen d’adopter un livre c’est de le trahir. Le livre propose, le réalisateur dispose.

 

Le scénario se développe sur un tour du propriétaire qui est un vrai petit guide pour bien réussir son polar. Vie privée désastreuse, solitude, ambiances désolées, temps maussade, conflit avec sa hiérarchie etc. C’est quasiment le polar pour les nuls. A cela s’ajoute un psychopathe dont les manières rappellent OLDEUBOI et SAW. Eh oui, camarades, coller à l’air du temps implique plan machiavélique et automutilation. La cible jeunesse a de drôles de mamelles ! La scène de la dent cariée est assez représentative du manque que le scénario essaie de combler. Elle n’ajoute rien à l’intrigue ou aux personnages, et n’est présente que pour dynamiser artificiellement le rythme d’une enquête pas très intense. Parfois, c’est aussi la mise en scène qui se saborde toute seule. Cela se remarque par l’emploi d’effets sonores qui jouent avec la puissance, les basses, la profondeur. Ca claque, ça résonne, ça cingle, pour souligner les effets dramatiques, les découvertes importantes ou les éléments à garder en mémoire. Tout cela manque d’un peu d’astuce et d’espièglerie. Il y a aussi quelques erreurs de découpage ici et là, flagrantes notamment lors de la scène où Nikolaj Lie Kaas remet le dossier au policier qui lui en donne l’ordre, mais aussi sur toute l’arrestation finale. Ces deux fois, vous remarquerez de gros problèmes de tempo qui permettent au réalisateur de nous laisser croire uniquement à ce qui figure dans le cadre. Dans les faits, c’est inconcevable. Du bon gros mensonge par omission.

 

Et malgré tout cela, le film garde un aspect plutôt classieux. Son souci d’aller directement à l’efficacité (parachevé par le montage), de ne pas lever le moindre sourcil, d’être fidèle en tous points au scénario, mène inévitablement à la mention que vous obtenez quand vous avez fait correctement votre travail à l’école : « Trop scolaire » ! Dans ces cas-là, j’espère toujours que la séquestrée y passe. Que le maniaque puisse enfin mettre à exécution son plan, que la femme meure dans d’atroces souffrances, que le vice puisse révéler son sourire sadique face aux sages représentants de l’ordre, que ça gicle un peu sur l’écran, quoi ! Parce qu’au cinéma on peut aisément souhaiter la mort de quelqu’un sans fond de culpabilité. Et c’est tellement réjouissant ! Et puis aussi parce qu’il se passerait enfin quelque chose d’un peu surprenant, d’un peu enragé dans ce film bien propre sur lui. En général, si le film a tenu cette ligne de conduite pendant presque deux heures, ce genre de souhait n’est jamais exaucé. C’est ainsi que se clôt KVINDEN I BURET, comme un téléfilm de haut standing qui s’est contenté d’exposer ses intrigues secondaires sans parvenir à s’enflammer pour l’enquête qu’il nous proposait. Un assistant syrien, un ado renfermé, une ex qui veut refaire sa vie, un ami handicapé, voilà les jalons à développer dans les 9 prochaines suites. Le film n’est pas terminé et la saga se poursuit déjà avec, à la tête du département V, Nikolaj Lie Kaas qui tirait la gueule pendant tout le film parce qu’on l’avait viré de la criminelle. Et maintenant c’est lui qui demande à rester à son nouveau poste. Forcément, résoudre une enquête en quelques jours alors qu’une tripotée d’inspecteurs s’y sont cassé les gencives pendant cinq ans, il y a vraiment de quoi se prendre pour une élite. Nous en reparlerons la prochaine fois.

commentaires

S
salut<br /> drôle que tu fasses une chronique sur ce film<br /> j'ai vu le premier en le téléchargement (opps) et le second au cinéma il y a trois semaines, j'attends le 3ème opus avec impatience. Je suis fan des romans de Jussi Adler-Olsen et enquêtes du département V. J'adore particulièrement les acteurs Nikolaj Lie Kaas et Fares Fares.<br /> <br /> Merci
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