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31 août 2008 7 31 /08 /août /2008 01:16

            1987, l’année du changement. Car, comme disait le vieux sage se grattecouillant : « Chacun son histoire et les vaches seront bien gardées ». Stupeur, étonnement, visages en points d’interrogation, cars de japonais circonspects, roulements de tambour… Qu’a-t-il bien pu se passer de si exceptionnel en 1987 ? Rien d’extraordinaire pour vous et vos miteuses vies d’insectes visqueux rampants au ras du sol telle la fange qui se complet dans sa déchéance et sa misère la plus noire (nouvelle provocation minable du webmestre envers ses internautes), mais en ce qui me concerne, 1987 a tout bonnement changé ma vie. Il est des années qui sont des tournants. Sortes de signaux lumineux qui éclairent les retours en arrière de notre mémoire. La date situe le fait. Pour moi, c’est 1987. Je suis capable de me repérer et de situer dans le temps par rapport aux éléments décisifs de ma vie qui ont jalonné cette année.

C’est valable pour chacun de nous. Mais attention, je ne parle pas là de repères communs ou absolument évidents comme une mort, une naissance, un mariage, un accident grave, les attentats du 11 septembre, la Coupe du Monde de football 1998 ou la nomination d’Arlette Chabot au grade de chevalier de l’Ordre National de la Légion d’Honneur. Non, je vous parle de ces petits moments de vie qui n’ont l’air de rien mais qui vont s’avérer, au fil des jours, des semaines, des années, primordiaux. Quelques détails, des moments de joie, de courtes apparitions qui vont revenir vous hanter à intervalles réguliers et s’insinuer dans vos vies comme des facteurs déterminants de vos choix futurs.

1987 : découverte de la dématérialisation de mon corps.

            A l’ouverture de ce blog, l’une des premières cibles était le Pathé Wépler, lieu que je vous recommande autoritairement de déserter le plus vite possible, si vous aimez un tant soit peu le cinéma et les projections dignes de ce nom (comme disait une péripatéticienne du boulevard Ney). Allez, montons sur notre fidèle destrier et parlons aujourd’hui des magnifiques sorties du Pathé Wépler, chefs-d’œuvre d’un architecte polonais sociopathe dont, paraît-il, THE SILENCE OF THE LAMBS s’est inspiré. Outre les affronts injurieux de tous ordres qui nous sont constamment faits dans cette enceinte, quel délice de pouvoir admirer,MAX LINDERdès la porte de sortie franchie, d’immondes escaliers douteux de propreté, qui n’ont qu’une fonction ultime : vous renvoyer à la face un splendide doigt d’honneur qui souligne qu’une fois l’argent donné à la caissière, vous ne méritez ni attention ni politesse. Autrement dit, la façade du Pathé Wépler mérite d’être assez accueillante (et là encore, adeptes du bon goût, nous pourrons disserter plus tard) pour hypnotiser votre larfeuille, mais une fois la séance terminée, le spectateur ne mérite aucun égard, à l’heure même où il souhaiterait juste sortir de son film avec les images ou la musique en tête, au lieu d’être agressé par une crasse omniprésente ou des graffitis séparatistes.

Je ne suis pas là pour demander à ce que l’on nous déroule le tapis rouge, mais juste que la direction du Pathé Wépler ait enfin quelques égards pour ses spectateurs et qu’ils n’aient pas l’impression d’être jetés comme de honteux Kleenex, une fois utilisés. Requête sublimement utopiste puisque le Pathé Wépler n’est pas le seul cinéma parisien a bénéficier de sorties comparables. C’est un peu la même bataille que celle de l’utilisation de la lumière dans 97,3 % des films français. Qui va mener cette bataille ? « Jeanne d’Arc ! » me répond mon ami imaginaire. Puis, me voyant glousser, il rajoute fièrement : « N’empêche que si elle avait eu du diabète, ça sentirait encore le caramel dans Rouen ». Votre ami imaginaire à vous est-il aussi débile ?

Voilà donc un nouveau tournant dans ma vie. Je résiste, je résiste… Je sais que je vais finir par craquer et y retourner. Pas d’envie mais de curiosité. Il faut se tenir au courant des us et coutumes des lieux qui m’accueillent. C’est aussi pour cela que je continue à aller dans la plupart des cinémas de la place parisienne. On ne peut parler correctement des films sans avoir une certaine connaissance des lieux qui les diffusent. Pour l’instant, voilà déjà plusieurs mois que j’ai déclaré que la drogue ne passera pas par moi et je tiens. Enfin, c’est une image. Epineuse image d’Epinal. Et je sais qu’un jour je n’irai plus au Pathé Wépler. Définitivement.

1992 : tu iras où ton cœur te porte.

            Que faire donc, un jour d’été, quand le Pathé Wépler vous tend les bras ? Evidemment, on peut lui faire une infidélité et aller juste en face, au Cinéma des Cinéastes, que je révère. Ce serait trop facile. Il y a plus fourbe. Je furète sur Internet. Je tombe sur Europa Films Treasures, collection de films (courts, plus deux longs dont un John Ford !) issus de diverses cinémathèques européennes. Les films sont diffusés en streaming. Idéal pour passer son après-midi et découvrir des raretés assez vieilles mais pas pour autant vieillies. Divers films érotiques très sommaires, quelques images documentaires, de l’animation signée George Pal (vivement recommandée), un film de Max Linder en version restaurée, de l’humour naïf, la splendide deuxième partie du FARFALE, le tsar Nicolas II vivant ou encore notre préféré : LES KIRIKI. Et pour ceux qui cherchent du plus lourd, nous vous conseillons Internet Archive Feature, le site qui répertorie près d’un million de films, musiques et textes en téléchargement gratuit puisque libres de droits.

1995 : personne ne sait que j’ai tué un homme.

            Bon, ça change des dominos mais pas de quoi non plus crier au sasquatch. Finalement, je craque. Je ne comprends plus très bien qui a pris possession de mon corps. Il s’achemine tranquillement vers le Pathé Wépler. Comme si de rien n’était. La caissière. Ensuite je passe le personnel sans aucun problème. Personne ne me reconnaît. Le joli tour que je leur ai joué !!! Ma barbe rigole toute seule. J’évite de peu la salle 10. C’est mon jour de chance, je le sens. Mais… Tout à coup, mon corps aux muscles si subtilement saillants, se dirige vers… Oh non ! Horreur ! Un film français !!! Mes membres sont comme possédés, mes pupilles dessinent des spirales qui ne laissent aucun doute sur la nature de mon état, j’éructe un passablement audible : « Je vous demande de vous arrêter ! Je vous demande de vous arrêter ! », j’essaie de m’agripper aux murs, mon sang ne fait qu’un tour, malheureusement pas dans le bon sens, une main sortie de nulle part me pousse dans le dos, je pénètre dans la salle avec un fracas épouvantable, la fièvre aphteuse me cloue sur un fauteuil, j’enlève la peau de Paris Hilton avant d’en faire des mouillettes et le plancher m’appelle. Allez, hop ! Coucouche-panier, papattes croisées…  Un temps. Juste ce qu’il vous faut pour essayer de résoudre cet abject problème : Nicolas a 3 neurones. Mamadou lui en vole 2. Qui est désormais le plus apte à gouverner la France ?

Je reprends connaissance au moment du titre du film : LE PREMIER JOUR DU RESTE DE TA VIE. Non ! Enfer et Jacqueline Maillan !!! Que fais-je devant ce… Ah, mais attendez, il s’agit du nouveau film de Rémi Bezançon. Retour en arrière. Nouveau tournant.

J’ai rencontré Rémi Bezançon dans un virage. Jeune homme fort sympathique et au discours très positif, que je salue puisque je sais qu’il passe de temps à autre par ici. Je m’étais promis de continuer à m’intéresser à sa carrière suite à son premier long (MA VIE EN L’AIR) que nous avions apprécié ici-même avec fortes réjouissances. « Oui là, juste là » comme disait la jeune mariée.

Selon Franck Capra, « l’art est une extension de l’individu ». Nous l’allons vérifier à l’instant.

LE PREMIER JOUR DU RESTE DE TA VIE
Ce safari dans les contrées du Pathé Wépler n’est pas une si mauvaise chose finalement ! Comme d’habitude, je n’ai rien lu sur le film et son histoire. Je m’aventure vierge vers les frissons de cette nouvelle expérience. Comme disait je-vous-laisse-deviner-qui. Comme le seul contact d’une main féminine suffit à déclencher une action érectile en moi, les premières notes de musique du film me font dresser les poils des bras. Bons choix musicaux qui perdureront jusqu’au bout du film. Mais ce titre… Que peut-il bien vouloir dire ? Apparemment, l’un des personnages va mourir à la fin du film… Apparemment, le film débute au premier jour… Apparemment, le réalisateur aime bien mettre le mot « vie » dans ses titres de films… Arrêtons ! Je n’aime pas les suppositions. Et encore moins les suppositoires. LE PREMIER JOUR DU RESTE DE TA VIE est un vrai bon film, une agréable surprise, un film très populaire qui n’hésite pas à brader les effets flatteurs pour de vrais morceaux de mise en scène. Il prouve une fois de plus qu’au cinéma, raconter quelque chose est toujours moins important que savoir le raconter.

Ce qui est étonnant dans les films de Rémi Bezançon, c’est que nous avons toujours l’impression de revoir plein d’autres films. Dans LE PREMIER JOUR DU RESTE DE TA VIE reviennent régulièrement des flashes qui nous rappellent une sensation de déjà vu, certains détails qui nous poussent à croire que nous avons déjà vu ça, oui, mais dans quel film déjà ? Ce n’est pas forcément un inconvénient (après tout, il n’y a pas que l’innovation qui marque les esprits), juste une sorte de jeu des souvenirs. Des films qui nous rappellent à l’interchangeabilité de nos vies. Et avec un peu d’astuce et d’espièglerie, Rémi Bezançon laisse de côté les décalcomanies à moins, finalement, que les références m’aient échappées… Il me semble que si la presse le compare à un film ce sera à C.R.A.Z.Y. (assez moyen, s’il vous en fait souvenance). En ce qui me concerne, j’ai beaucoup plus pensé à des films comme A HOME AT THE END OF THE WORLD ou à la trilogie familiale de Wes Anderson (même si nous sommes loin de sa folie formelle) et plus particulièrement à THE ROYAL TENENBAUMS (la scène où Marc-André Grondin se coupe les cheveux en face du miroir est adjacente à celle où Luke Wilson s’ouvre les veines, ce qui est encore une preuve de bon goût puisque c’est la plus belle du film. Je rajouterais même que le personnage de Déborah François a des allures terribles de Gwyneth Paltrow). Et puis le regard de fin du film est un négatif percutant du regard final de 4 LUNI, 3 SAPTAMANI SI 2 ZILE. L’un sourit, l’autre pleure.

Bref, si les associations pleuvent, l’hommage fait place à l’image, celle qui est composée, bâtie selon une mise en scène signifiante. C’est déjà bien.

REMI BEZANCONCôté scénario, c’est plutôt bien vu. Rémi Bezançon évite de jouer au petit malin avec twist final qui annule toute intelligence cinématographique. Jacques Gamblin meurt à la fin (ça me rappelle un film, ça…) mais nous nous y attendions un peu. Le titre nous mettait un peu sur la voie, et puis c’est dit ouvertement dans le film par un plan de fin volontairement trop long, lors de la première scène chez Roger Dumas. Prodrome cancérigène. Amère futurition. L’histoire procède alors par petites touches qui mènent aux grandes révolutions, ces moments décisifs qui participent aux vrais tournants de nos vies. L’originalité, si nous pouvons nous exprimer de la sorte, provient d’un processus narratif qui navigue dans le temps et qui suit un personnage différent à chaque époque (c’est dans quel film ça, déjà ?). Ce processus avide en sensibilité a le grand avantage de mettre la mise en scène au premier plan comme valorisation de l’histoire (alors que la plupart du temps c’est le scénario qui doit faire le film). Par rapport à MA VIE EN L’AIR, c’est vraiment l’élément le plus décisif dans la progression du cinéma de Rémi Bezançon. Sa mise en scène est émouvante, fluide, imaginative, tonique, pétillante et très souvent intelligente. Merci pour le sang sous la porte. Idée sublime. Awesome ! Magnifique plan aussi de la jeune fille qui allume une bougie sur la tombe du chien. Et puis, cette formidable idée (dont Rémi Bezançon abuse un poil) des personnages anachroniques dans le même plan que le personnage dont nous suivons l’histoire (déjà vu dans… Euh… Dans… C’était un film avec l’autre, là, la blonde…) Cela fonctionne à chaque fois. Et même si le film diffuse un spleen profond né de son caractère nostalgique, il faut bien dire qu’il est très drôle (la scène de la fellation !), ce qui n’était pourtant pas gagné d’avance puisque le film aborde des thèmes parfois difficiles. Mais l’unité comique est belle car elle sait justement s’effacer lorsque le drame refait surface. Nous l’avons déjà dit : le comique c’est de la précision, donc du rythme.

2002 : les vagues reprennent toujours ce qu’elles déversent.

Cette bonne idée narrative par personnage et par époque n’est pas non plus celle qui permet au film de revêtir une combinaison protéiforme, mais elle contribue au principe actif suave du film. Montage alerte et dans un tempo toujours très intuitif, il permet souvent de sublimer certaines fins de scènes, de projeter vers l’avant les nouveaux enjeux scénaristiques et de porter le spectateur vers une réaction toujours savamment pronostiquée. La bande son fonctionne sur le même mode. Il n’est pas question d’une musique en surlignage ou en contrepoint mais d’un élément essentiel de mise en scène comme le sont les comédiens, par exemple. Une sorte de matériau souple, inadapté dans sa fonction originelle et que Rémi Bezançon sculpte, synchronise de manière à imprimer sur son public une émotion très précise. De la mise en scène par la musique, comme sait magnifiquement le faire Cameron Crowe. Cela touche à l’art du clip musical (puisqu’ici nous aimons les clips musicaux (les bons, bien sûr) et leurs réalisateurs (les bons, bien sûr) alors que la plupart des critiques rejètent massivement ceux qui passent à la réalisation de longs métrages sans jamais avoir trop avancé d’arguments). Après tout, ce n’est pas plus bête qu’autre chose. Rémi Bezançon varie les plaisirs quand les éléphants du cinéma français peinent à bousculer leurs idées reçues de mise en scène.

CAMERON CROWEUn effort du côté des lumières. Rien de révolutionnaire mais suffisamment d’attention pour sortir de cette grisaille qui illumine 96,8 % des productions françaises. Pour le son, c’est plutôt le calme plat. Nous sommes dans l’illustratif le plus banal. Et pan ! En plein dans la moyenne nationale. Rien d’autre à signaler ? Si. Un peu trop de gros plans à mon goût. Les quotas. Toujours les quotas.

Pour les acteurs, Rémi Bezançon (qui est né dans quelle ville, d’après vous ?) s’est entouré d’un faux Vincent Elbaz (bien vu, Pio Marmaï est très étonnant de maîtrise pour un premier grand rôle au cinéma), d’un faux Gaspar Ulliel (Marc-André Grondin, lui aussi excellent en adolescent hors de son propre corps) et d’un vrai Jacques Gamblin (pourtant j’aurais préféré le faux. J’ai toujours un peu de mal avec ce comédien que je vois jouer, qui manque de naturel, qui se raccroche à sa technique et qui manque de consistance intérieure). J’aime aussi beaucoup le côté non figé de Zabou Breitman. Son personnage prend beaucoup d’ampleur au fur et à mesure que le film avance. Déborah François est vraiment très intéressante, dans un rôle pas facile, mais elle évite l’hystérie et même s’il manque encore de relief à cette jeune comédienne, elle laisse entrevoir une belle énergie et une blessure qui mérite d’être plus exploitée. Physiquement, sa transformation est un peu brutale, non ? J’aime beaucoup les personnages dessinés d’un seul trait par Jean-Jacques Vanier, Philippe Lefebvre, Gilles Lellouche (dont la perruque rasta ne fonctionne pas du tout et même si la caméra essaie d’en cacher un maximum, cela fait vraiment déguisement) et François-Xavier Demaison (qui n’y va pas avec le dos de la main morte ; ce médecin complètement allumé c’est dans quel film déjà ?) D’une manière générale, il faut dire que si Rémi Bezançon dirige sa petite escouade vers une sobriété nécessaire, ils sont tous à la limite de ce qui est acceptable et parfois traversent les passages cloutés fraîchement repeints, quittes à se payer le 35 tonnes qui arrive en face. En témoignent la scène de Gilles Lellouche où l’on sent que le réalisateur aime son comédien et ne résiste pas à lui laisser faire son numéro, ou Zabou Breitman dans la scène de la voiture où elle fait mine de ne pas comprendre où son mari veut en venir, trahie par un léger plissement au coin des yeux. Détails qui n’affectent en rien l’énorme capital sympathie de ces personnages.

LE PREMIER JOUR DU RESTE DE TA VIE est un film casse-gueule. A contre-courant, pour continuer dans les mots composés. D’habitude, les spectateurs (et encore plus les critiques) n’aiment pas ce genre de clichés qui s’accumulent (l’aîné plein d’allant, le cadet plus souple, la petite dernière en écorché vive, le grand-père en figure de vieux sage qui, bien au fond de lui, à un cœur qui bat, le-mari-la-femme-l’amant, lire le journal intime de sa fille c’est pas bien, fumer tue, coucherMARC-ANDRE GRONDINprovoque la perte de la virginité etc.) et d’affrontements familiaux propices aux règlements de comptes et autres secrets exhumés du grenier. Le cliché au cinéma c’est la descente en règle assurée. Or, LE PREMIER JOUR DU RESTE DE TA VIE (mais ça vient d’où déjà ce titre ?) en regorge. Et d’une manière très consciente. C’est cela qui nous interpelle. C’est cela qui nous fait dire qu’il est casse-gueule. C’est cela qui nous donne la clé du mérite de Rémi Bezançon.

Alors pourquoi autant de clichés ? L’affiche vend la mèche d’entrée de jeu : « Cette famille, c’est la vôtre ». C’est clair, net et précis. Il faut s’attendre à y retrouver des situations, des personnages, des objets, des répliques anodines, des moments de la vie quotidienne que nous avons tous connus à un moment ou à un autre. Et plutôt à un autre, d’ailleurs, puisque Rémi Bezançon choisit les moments où tout bascule. 1987. Le film démarre. A ceux qui reprocheraient ses clichés, je répondrais simplement qu’ils n’ont rien compris au film puisque c’est son essence même. C’est le cadre dans sa globalité. Et il n’y a rien qui ne puisse être difficile à croire puisque LE PREMIER JOUR DU RESTE DE TA VIE fonctionne comme le journal que vous ouvrez à la page des faits divers. Lisez ceux du « Parisien », vous serez inévitablement tentés de vous écrier : « Ce serait dans un film, on ne le croirait pas ! » Le film de Rémi Bezançon c’est cela : un journal que vous n’avez pas lu depuis des années et que vous reprenez avec une immense joie, histoire de constater que tout évolue, que rien ne change et que le papier journal est décidément aussi dur qu’un miroir.

Le bonheur, la famille, l’amour, la vie, la mort, on s’interroge un peu, pas trop, mais un peu quand même : « Pourquoi depuis qu’on vit plus longtemps, on meurt aussi plus longtemps ? », secrets, rancoeurs, mots assassins… Rémi Bezançon se trouvait là face à un immense défi qui aurait pu faire tomber son film du côté du ridicule, de l’insignifiant, voire de l’anecdotique. Et puis, après tout, les clichés, le cinéma de Quentin Tarantino en est bien empreint ! L’idée consistait tout d’abord en une petite troupe de comédiens capables de parer à tout excès et de forcer la sobriété. Ensuite, il fallait ne pas hésiter à se jouer du cliché, en l’exagérant s’il fallait, de manière à le faire tomber dans la comédie la plus pure. C’est le cas lorsque toute la famille oublie l’anniversaire de Déborah François ou quand le grand-père meurt le jour du mariage de son petit-fils. Et puis, bien sûr, comme nous l’avons dit, la mise en scène a dû se hisser à cette hauteur, n’hésitant pas à combiner l’abstraction, le fantastique ou la poésie pour créer un univers où le cliché a muté, s’est dissocié de son acception première. Et c’est aussi de cette façon que le film nous intrigue, rapport à la musique dont nous parlions tantôt. En temps normaux, ce transbordage de chansons façon « Mes Mp3 préférés, par Rémi Bezançon », nous aurait dressé les cheveux des poils des jambes comme font ces idiots qui trouvent ingénieux de mettre une chanson qui parle d’une jeune fille qui fait des bulles avec sa salive quand, justement, apparaît à l’écran une jeune fille qui fait des bulles avec vous savez quoi (ça c’est un film australien, c’est sûr ! Mais le titre…) Ici, c’est ce qui pourrait apparaître tellement le collage nous suit de très près avec sa petite voix : « Vous aimez entendre et réentendre ces vieux tubes d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, n’est-ce pas ? ». Mais ce patchwork est combiné à un réel choix d’impression musicale. C’est ce qui rend le film ambivalent. Bon point.

Alors, bien sûr, LE PREMIER JOUR DU RESTE DE TA VIE est un peu trop lisse et ne va trop souvent que dans un sens. Du coup, il ne parvient pas à transcender tous les clichés et ne nous épargne pas ce qu’il réussit à éviter quasiment tout le temps : le chantage aux sentiments, la larme facile, la complaisance. Alors que la mise en scène évite de s’apitoyer sur toutes les situations délicates, vers la fin du film Rémi Bezançon nous ressort via la bouche de Jacques Gamblin que c’est une grande chanceSOUNDGARDENque d’avoir des enfants ! Beurk !!! Cette affirmation n’a d’égale que sa négation. Et c’est parti pour la grande scène du IV ! Mais ce qui me dérange le plus c’est l’association de la rébellion de Déborah François au grunge. Un jean troué ne suffit pas à faire grunge (c’était à la mode avant son apparition). Et puis cette jeune fille est sûrement en réaction à son environnement familial mais par des événements qui ont eu lieu dans ce même milieu et non parce que le style de musique qu’elle écoute l’y pousse. Enfin, le grunge symbolise ce cliché des années 90 où l’adolescente se serait engoncée. Sauf que le grunge n’est pas le grand mouvement d’identification que l’on voudrait nous faire croire. Il n’a été qu’un mouvement marginal et très bref. Encore plus en France qu’aux U.S.A. Un peu comme les hippies (il ne suffisait pas d’avoir les cheveux longs pour être hippie). Et puis c’est un mouvement d’une légitimité limitée, rejeté par un grand nombre de personnes sur qui l’on a essayé d’apposer cette étiquette. Parce qu’il s’agissait d’un phénomène médiatique qui a été construit de toutes pièces et qui n’est pas issu d’une mouvance culturelle. Il se trouve que Nirvana correspondait exactement aux critères de sa définition. Mais d’autres groupes comme Soundgarden, Pearl Jam, Alice In Chains, Mudhoney ou Stone Temple Pilots aussi. Cela ne les a pas empêchés de perdre cette appellation au fil des ans, tout en restant fidèles à leur style musical. En France, la mode grunge n’a jamais réussi à s’imposer. Parce que c‘est une ambiance et non un état d’esprit comme peut l’être le punk. Tout cela pour dire que, selon moi, dans le film, Déborah François est plus prégothique que grunge.

Mais bon, difficile d’en vouloir à un film qui a réussi jusque-là une communion délicate et émouvante avec le public. Bel album photo que l’on ne ressort pas d’un tiroir mais de sa mémoire, comme ces retours en arrière qui forment un panorama gigantesque de nos vies. Le cœur, la mémoire. Différentes vies, les mêmes histoires. Et puis, je vous le dis comme je le pense, un réalisateur qui parle de cette manière de Georges Moustaki ne peut forcément pas être mauvais.

2008 : off to the next one.

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