« Nous sommes en train de mettre en place un changement historique pour le groupe. » Jeudi 3 mai, au Carrousel du Louvre, lors de l’assemblée générale de son groupe, Arnaud Lagardère a annoncé vouloir recentrer l’ancien conglomérat hérité de son père, Jean-Luc, sur deux pôles : l’édition – le « publishing » – et la distribution dans les lieux de transport – le « travel retail ». L’objectif est de bâtir des leadeurs mondiaux et « un groupe plus solide, fort, indépendant et dominateur sur ces deux secteurs ».
Répondant aux vives critiques d’un actionnaire, Arnaud Lagardère a nié tout « rétrécissement » du groupe « Rétrécissement ? Non. Redéploiement ? Oui », a-t-il lancé, repoussant toute idée de démantèlement.
Les actifs dans les médias et le sport, les deux autres secteurs dans lesquels le groupe est présent, seront progressivement cédés et l’argent ainsi dégagé sera investi pour soutenir ce recentrage autour de l’édition et de la distribution dans les lieux de transport, a précisé Arnaud Lagardère.
Avant l’assemblée générale, la stratégie de l’entreprise avait été attaquée par le fonds Amber, détenteur de 4 % du capital de Lagardère, qui a tenté de faire élire deux administrateurs au conseil de surveillance de la société. « En dix ans, 3,2 milliards d’euros de valeur ont disparu, 2,3 milliards d’euros dans des dépréciations d’actifs, et 860 millions d’euros dans des restructurations, essentiellement dans ces deux activités », explique Olivier Fortesa, associé au sein du fonds.
« Une vraie rupture »
Si Amber n’est pas parvenu à s’imposer au conseil de surveillance, le fonds se félicite néanmoins du recentrage du groupe qu’il avait lui-même appelé de ses vœux. « Nous sommes ravis qu’Arnaud Lagardère ait enfin décidé de mettre en place la stratégie que nous lui suggérions l’an passé », complète le gérant du hedge fund, qui compte bien rester pour l’instant au capital.
Qu’est-ce qui a décidé M. Lagardère, qui, en 2017, vantait encore une stratégie reposant sur quatre piliers, à tourner casaque ? « C’est une vraie rupture que j’avais en tête depuis plusieurs années », a déclaré l’héritier lors de l’assemblée générale.
Selon nos informations, le Qatar, premier actionnaire avec 13,03 % du capital et 19,5 % des droits de vote, était également mécontent de la gestion d’Arnaud Lagardère et de la baisse du titre en Bourse. Il se plaignait notamment que les cessions ne fassent qu’alimenter le paiement du dividende et donc appauvrissent la société. Jusqu’à ces derniers jours, il était même prêt à voter les résolutions d’Amber Capital, avant de changer d’avis.
Faire évoluer le conseil de surveillance
Même si Amber n’a pas réussi à imposer, comme il le souhaitait, deux nouveaux administrateurs indépendants au sein du conseil de surveillance, il réitère la nécessité de faire évoluer cette instance, « seul contre-pouvoir dans une société en commandite [une structure qui permet à Arnaud Lagardère d’avoir tout pouvoir] ».
Le fonds considère que le conseil n’est pas indépendant. En témoigne par exemple la double casquette de Xavier de Sarrau, qui est à la fois président du conseil et chargé d’une mission auprès de la gérance, l’instance où siège l’héritier de Jean-Luc Lagardère, payée 240 000 euros par an. Egalement contestable la longévité de certains administrateurs, comme Georges Chodron de Courcel, administrateur depuis 1998 ou Pierre Lescure, depuis dix-huit ans. Or, le code AFEP-Medef considère qu’au-delà de douze ans, un administrateur n’est plus indépendant.
En répondant en partie aux demandes des actionnaires, M. Lagardère espère ainsi obtenir une « rentabilité améliorée » grâce à une évolution de la génération des flux de trésorerie et une diminution du niveau global des investissements nécessaires à la croissance.
L’édition, un secteur rentable et aux ventes relativement stables représentait, en 2017, 33 % du chiffre d’affaires du groupe mais la moitié de son résultat opérationnel. Le « travel retail » (boutiques dans les gares et aéroports) a apporté 48 % du chiffre d’affaires du groupe en 2017. Si elle affiche une marge plus modeste (27 % du résultat opérationnel), elle est, selon M. Lagardère, un « moteur de croissance » pour le groupe.
« Nous ne ferons pas demi-tour »
Sur les cessions à venir, en particulier dans le secteur des médias, Arnaud Lagardère n’a pas voulu donner de détails, affirmant que les salariés des entreprises concernées devaient être informés préalablement. « Le mouvement est en route et nous ne ferons pas demi-tour », a-t-il toutefois assuré.
Lagardère avait annoncé, le 18 avril, être entré en négociations exclusives avec un groupe tchèque, Czech Media Invest, pour lui céder ses titres de presse magazine en France : Elle et ses déclinaisons, y compris les sites Internet d’Elle dans l’Hexagone, mais aussi Version Femina, Art & Décoration, Télé 7 Jours et ses déclinaisons, France Dimanche, Ici Paris et Public.
« Nous ne vendons pas Elle, nous vendons une licence sur le magazine, nous gardons la marque », a-t-il précisé, expliquant qu’il était temps de se dégager des médias : « Il faut le faire de manière propre et en respect total de tous les salariés. »
Selon lui, l’acheteur tchèque « aura besoin de tous les effectifs que nous allons apporter, qui font ce qu’est Elle, Télé 7 Jours, Ici Paris ou France Dimanche », car il n’a pas d’autres titres en France pour faire d’éventuelles synergies. Le groupe gardera cependant Le Journal du dimanche et Paris Match, Europe 1, trois médias d’influence.
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