L'exercice de l'État
de Pierre Schoeller
avec Zabou Breitman, Olivier Gourmet, Michel Blanc
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Avec L’exercice de l’État Pierre Schoeller retranscrit le quotidien d’un ministre et de toute son équipe. Pour ce faire, il essaye de nous plonger par une forme d’abstraction, dans le ressenti et la palette d’émotions éprouvées par ses hommes d’État. Le film s’ouvre sur un rêve, puis un accident : un bus scolaire est sorti de route, c’est une situation à la fois de crise et d’aubaine sondagière. Car la vie étatique est régie par ces deux mamelles : les accidents — au sens large — et les sondages.
On suit le couple formé par le ministre des Transports — au cinéma qui est l’art du mouvement, bien joué — Bertrand Saint Jean et son directeur de cabinet, Gilles. Ils fonctionnent en binôme, avec un beau couple d’acteurs, le gargantuesque Olivier Gourmet en ministre et le très bon Michel Blanc en dircab, homme de bureau et de dossier, toujours ensembles et connectés. Bien entendu ils sont entourés de consultants et autres rédacteurs de discours, ainsi que de l’attachée de presse Pauline (Zabou Breitman), en permanence aux côtés du ministre.
Le rêve en ouverture du film nous place dans le sensitif et une forme d’inconscient — le Ça sûrement. Une femme nue traverse les pièces du ministère avant de ramper dans la gueule d’un immense crocodile. Saint Jean se réveille bandant et est appelé à se rendre sur les lieux d'un accident de bus. Le film, comme le fonctionnement de l’État, est carnassier. Sur le pont à l’aube, notre ministre est aussi sujet à la nausée après un conflit avec des grévistes, à l’ivresse profonde à l’occasion, aux cercles d’influences par nécessité et à la valse des convictions et des postes bien malgré lui. Dans ces conditions, ainsi malmené, Bertrand Saint Jean est victime de déréalisation du monde. Il n’y a pas de parti ni de modèle, juste une immédiateté de réaction face à l’actualité et les sondages.
Comme Pater avec son Mc Guffin idéologique — une loi limitant le salaire des patrons à x fois le salaire de base — L’exercice de l’État avance avec en point de mire la privatisation des gares. Cette privatisation n’est pas le centre du film mais permet de mettre en avant l’évolution des positionnements vis-à-vis de cette idée, dans les hautes sphères dirigeantes. Là où Pater était un véritable film politique, de part son sous-texte lié à son Mc Guffin mais aussi par son économie et le dispositif qui en découlait, la production franco-belge (assurée en partie par les frères Dardennes) du film de Pierre Schoeller lui donne une dimension allégorique très moderne centrée sur l’Homme. Bombardé d’informations, de mémos, de brusques changements de caps, de dépêches A.F.P. et de S.M.S. affichés en surimpression sur l’écran, l’homme politique est action, dans les médias, un téléphone à chaque oreille, sur le terrain ou de visu avec ses collègues ou concurrents de façon plus que viril. Il y a du Jack Bauer dans ce Saint Jean. L’économie réelle n’est pas oubliée et quelques brèves séquences nous rappellent qui tient vraiment les cordons de la bourse, Le Parrain financiarisé, montrant que L’exercice de l’État rempli bien le contrat, n’omettant rien, avec justesse et mise en scène, sur ce qui est considéré comme le Pouvoir mais est concrètement une zone tampon broyant les êtres et les convictions.