Si vous avez vu « Hollywoo », le film avec Florence Foresti (dont, soit dit au passage, je suis très client ; elle a un génie comique exceptionnel), ou si vous comptez le regarder un de ces jours, il n’est pas inutile de faire une petite mise au point sur ce qu’il nous raconte. Et qui me concerne de près…

Lorsque, à la sortie du film, j’ai entendu Florence Foresti dire partout qu’elle jouait le rôle d’une « doubleuse » ça m’a pas mal agacé, bien entendu, et je me suis douté que le film m’énerverait. Mais je ne pensais pas que je le serais autant. Je ne suis d’ailleurs pas allé le voir en salle, j’ai attendu qu’il soit diffusé à la télévision.

Bon, je trouve que c’est une comédie gentillette, qui ne casse pas 4 pattes à un canard mais qui se laisse regarder en tout cas, et qui a au moins le bon goût d’être bien interprétée jusque dans les tout petits rôles. Le gardien pakistanais des résidences de Hollywood m’a particulièrement réjoui. Et j’ai regretté qu’on ne voie pas davantage Alex Lutz qui arrive à être irrésistible dans une minuscule (hélas) apparition à côté de Muriel Robin. En voilà un autre promis par son génie à un avenir fracassant, si les choses sont ce qu’elles doivent être. Je ne sais pas vous, mais moi il me fait exulter dans « La revue de presse de Catherine et Liliane » du Petit Journal de Canal+. Et il me fait mourir de bonheur dans ses sketches… « L’ado rebelle », « La vendeuse »,  « L’actrice », « Karl Lagerfeld »… Moi je trouve ça grandiose. J’ai envie de m’agenouiller et de dire « Merci maître ! ».

Mais ce qui m’a mis en pétard c’est le point de départ du scénario : la comédienne française qui n’aura plus de travail si l’actrice américaine qu’elle double dans une série arrête ladite série dans laquelle elle tient le rôle principal.
C’est d’une absurdité abyssale et on greffe là-dessus dans l’histoire des caisses de choses qui n’ont rien à voir avec la réalité, et qui sont même tout simplement impossibles. Voilà qui va encore propager et ancrer dans l’idée du public des idées totalement fausses sur ce secteur du métier.
Notre réalité est à des années-lumière de ce que nous montre le film.

On peut prendre ça depuis le début :

– Jeanne, le personnage de Foresti, se comporte comme une star de cinéma capricieuse quand elle est à la barre en train d’enregistrer. Elle arrête une prise parce que son mobile sonne et elle répond sans attendre, au motif que c’est important alors qu’il s’agit d’une histoire de paire de chaussures.
C’est du domaine du fantasme, ça ! Jamais au grand jamais un comédien qui fait du doublage (et même s’il fait tous les rôles principaux de la terre) n’arrêterait une prise pour répondre au téléphone (et encore moins pour un motif aussi futile), d’autant que le premier réflexe quand on entre dans un studio est de couper le son de son mobile, quand nous ne sommes pas obligés de l’éteindre complètement à cause des interférences. Ceux dont l’appareil sonne parce qu’ils ont oublié de l’éteindre s’attirent les foudres de tout le monde.
A propos de studio, du reste (c’est mineur, d’accord, mais on peut le signaler), celui qu’on nous montre et qui est à Dubbing Brothers est exclusivement réservé aux enregistrements des 35mm. On ne travaille absolument jamais dans des studios de ce genre sur des séries pour la télévision.

– Jeanne va voir son agent. Celle-ci, Muriel Robin (très savoureuse), lui annonce que la 3ème saison de la série va être tournée aux USA et que l’agent futée qu’elle est a obtenu une augmentation de cachet pour Jeanne en jouant la fine bouche, genre « Nous ne sommes pas intéressées pour continuer le doublage de cette série », de sorte que le client a accepté d’ajouter un 0 sur le contrat de Jeanne pour garder celle-ci sur le doublage du rôle.

Mon Dieuuuuuu ! Mais où ont-ils été prendre qu’on peut seulement imaginer de pareilles choses ?
JAMAIS nos agents ne sont impliqués dans nos activités de doublage. Enfin, il faut bien comprendre, là, que je ne parle évidemment pas des vedettes qu’on appelle pour pouvoir afficher leur nom sur l’affiche d’un film – avec la voix « de » – et faire la promo de celui-ci, et qui sont payées très cher ; ça passe évidemment par leurs agents.
Mais nous, les obscurs et les sans-grades, on n’en a simplement pas besoin. Ni pour trouver du travail (les directeurs artistiques appellent les comédiens sans passer par quelque intermédiaire que ce soit, et on se fait connaître directement auprès d’eux), ni pour discuter les cachets. Car nous sommes tous payés exactement de la même façon, selon les tarifs fixés par l’annexe salaire de la convention collective du doublage. Le lignage et le temps passé les déterminent. Pour quelques stars de cinéma américaines – et je me demande si les doigts d’une seule main ne suffisent pas pour compter ces cas-là – il est d’usage que les comédiens français qui sont leurs voix françaises habituelles reçoivent un cachet hors convention (on parle de gré à gré) lorsqu’ils les doublent, beaucoup plus élevé que ce qu’ils toucheraient si on se fixait sur l’annexe salaire. Mais la discussion est très limitée (ces cachets se situent dans une fourchette convenue) et ne passe par aucun agent. Autrement, non seulement il n’y a rien à discuter du tout mais encore la seule fois où quelques comédiens ont essayé de le faire (sur « Friends »), ils ont été virés manu militari et remplacés par de petits… j’allais dire camarades mais je me demande si le terme est bien choisi…
En outre, même lorsque le lignage d’un personnage principal de série est important, il est bien bien loin de pouvoir ce qui s’appelle nous mettre à l’abri financièrement. Si seulement !
Quant aux contrats, nous en signons en effet un, oui, mais le jour de l’enregistrement et valable pour ce jour-là uniquement. Il n’est pas question d’en signer un avant qui serait valable pour la durée d’une série. Et il n’est pas fait du tout pour sceller notre engagement mais pour établir les droits que nous avons sur notre travail et le pourcentage de notre cachet (à ajouter à ce dernier) que nous percevrons en échange de l’abandon de ces droits, de sorte qu’on pourra utiliser notre doublage pendant 10, 15, 20 ou 30 ans sur tous les supports stipulés dans le contrat et autant de fois qu’on le voudra.
Pas de contrat qui nous lie sur la durée d’une série. Nous sommes révocables et remplaçables à tout moment. Il est certain qu’on imagine difficilement que la voix d’un personnage principal de série soit changée (ni en cours de route ni d’une saison à l’autre) mais cela reste toujours virtuellement possible et ce n’est pas demain la veille que ça bougera. Outre que c’est une façon de procéder assez souple pour tout le monde, nous risquerions de prendre un poids que les clients auraient bien trop peur de nous donner.

– Jeanne tente de s’étouffer quand elle entend que l’actrice qu’elle double dans la série a décidé d’arrêter celle-ci. Et elle sombre dans un désespoir intense à l’idée qu’elle n’aura plus de travail, plus de revenus coquets (et je viens de dire ce qu’il en est des cachets), et qu’elle va devoir reprendre le chemin des castings de tournages télévision ou publicité, qui ne marcheront jamais parce qu’elle semble très mauvaise. Et on se demande d’ailleurs bien pourquoi. Elle est bonne quand elle double, au point qu’on lui fait des contrats élevés, mais elle joue comme une ama… trice – ça se dit maintenant – maladroite quand elle est ailleurs que dans un studio de doublage ? Une façon très valorisante de voir les comédiens qui font du doublage. En tout cas c’est d’une ineptie gravissime. Si Jeanne double un personnage principal de série c’est qu’elle est à même de le faire, qu’elle a une certaine reconnaissance dans le milieu du doublage, qu’elle y travaille régulièrement et qu’elle a donc des chances d’être appelée sur autre chose derrière ça, même si notre avenir n’est jamais certain. Par ailleurs ce n’est pas parce que nous faisons du doublage que nous arrêtons forcément de chercher du boulot ailleurs, comme le film le laisse entendre. J’ai passé des castings pendant longtemps alors même que je faisais déjà beaucoup de doublage. C’est le quotidien de tout comédien de chercher tous azimuts. Surtout s’il a un agent. S’il ne fait que du doublage, c’est qu’il en fait beaucoup et qu’il n’a plus besoin d’agent. S’il a un agent, c’est qu’il fait autre chose à côté du doublage, dont ledit agent ne s’occupe en aucun cas. Bref le postulat du film est d’une incohérence sans nom.

– Et enfin on voit Jeanne arriver en retard dans un studio alors qu’elle est déprimée et se coller tout de suite à la barre pour enregistrer. C’est fait de telle sorte qu’on a le sentiment qu’elle se lance comme ça, sans avoir écouté ni regardé la scène avant. Bien sûr, bien sûr… (à noter : la comédienne qui se tient à ses côtés est Odile Schmitt, qui double Eva Longoria dans « Desperate housewives »).

Alors je sais bien tout ce qu’on peut me dire.
J’ai compris, oui, merci, qu’il s’agissait d’une fiction, d’une comédie de surcroît, et non d’un reportage sur les comédiens.
Il y a belle lurette aussi que j’ai remarqué que, quel que soit le métier montré dans un film (et c’est le cas bien souvent même dans les reportages, hélas, pour ne pas parler des articles dans les journaux où c’est toujours le cas), on le montre généralement d’une façon tronquée, inexacte, avec des clichés et des raccourcis. C’est d’ailleurs presque obligatoire et incontournable.
Et je sais aussi que la plupart des spectateurs ne verront rien à y redire.

Mais c’est précisément pour ça que j’ai envie de crier bien haut qu’il ne faut surtout pas s’imaginer que les choses se passent comme on le voit et de remettre les pendules à l’heure sur un sujet que je connais et qui peut en intéresser quelques-uns parmi vous qui passez par ici.

Je suis souvent sollicité par des jeunes qui ont des idées fausses sur le doublage, et je suis bien placé pour me rendre compte qu’il est inutile d’en rajouter sur le sujet.
Il n’y a pas de sot métier et je suis la dernière personne à mépriser quelque activité professionnelle que ce soit (sauf les dealers et les proxénètes, oui, bon, d’accord). Même les contractuel(le)s je comprends. J’ai un peu de mal avec les militaires, c’est vrai, mais je sais bien que la Terre n’est pas le pays des Bisounours, hélas, et qu’ils sont indispensables.
Toutefois la plupart des gens, malheureusement, n’exercent pas un métier choisi pas par goût ou vocation mais par nécessité. Comédien, en revanche, ça se choisit. On essaie de le faire parce qu’on en a envie. Et ça fait rêver bon nombre de gens.
Il est donc bien plus néfaste de répandre des idées fausses sur ce métier que sur celui de facteur parce que ce qui a trait à ça est regardé avec plus de gourmandise et d’intérêt par la plupart des spectateurs. Je pense.

Faire rire n’exclut pas de respecter une certaine exactitude. Au contraire, à mon sens. On peut écrire un scénario de comédie sans tordre le cou d’une façon aussi définitive à la réalité des choses. Je ne vois pas en quoi ça rend plus drôle l’histoire de s’éloigner autant de cette réalité. Le comique naît du regard qu’on porte sur la vraie vie puis des situations qu’on en fait naître. Le génie de Feydeau a été de pousser la réalité jusqu’à la folie, pas de la déformer. Les sketches les plus drôles (en tout cas c’est mon avis) sont ceux qui sont fondés sur un léger grossissement à la loupe des attitudes et des vrais événements de l’existence. Cf ce que fait Alex Lutz qui exagère à peine dans la restitution qu’il donne de certains comportements humains. Ce n’est même pas une caricature, simplement une légère exagération du trait. Et encore. C’est ce qui le rend génial.
Ou alors on tombe dans la parodie, ou l’absurde, qui peut être une autre forme de comique, mais ce n’est pas le principe de ce film qui aurait pu être aussi drôle (ou aussi peu) sans une telle altération de la réalité d’un métier.

Alors bon, ce  n’est qu’un film, me dira-t-on pour finir. En effet ! Mais ça signifie quoi de dire que ce n’est qu’un film ? C’est important un film, c’est important un livre ! Ça reste, et ça trimballe toujours des idées. C’est une façon de communiquer et la comédie la plus anodine peut dire des choses. Je voudrais bien voir qu’une comédie, aussi peu « importante » soit-elle, se mette à avoir un discours racistes, par exemple. On en entendrait parler (et à juste titre) ! Est-ce pour rien que « Les intouchables » ont eu un tel succès ? Non, parce que ça dit des choses qui ont touché les gens et qui ont forcément été utiles dans une certaine mesure. Et « ce n’est que » un film.
Si je produisais un scénario dans lequel je montrerais des chômeurs qui touchent un RSA de 4000€ par mois, parce que ce serait plus commode pour mes ressorts comiques, on crierait au scandale, je pense, non ? On n’estimerait pas que je serais en droit de répondre que c’est une comédie, pas un reportage sur les démunis. Et on aurait raison. Mais où serait la différence, pourtant ?

D’accord, ça ne m’empêche pas de dormir et, d’un point de vue cosmique, tout cela n’a guère d’importance, au fond, nous sommes d’accord. Oui ! Mais il est assez logique qu’en tant que comédien ça m’énerve de voir ce qui est une de mes activités présenté d’une manière aussi fausse par d’autres comédiens qui sont supposés savoir comment les choses fonctionnent. Je rappelle que Florence Foresti a participé à l’écriture du scénario. Et ça me défrise bien plus que si le film avait été écrit par des gens totalement étrangers à ce milieu, même si ça ne retire rien à l’admiration que j’ai pour son talent et sa nature et que je ne la voue pas aux gémonies pour autant…

Voilà.