VALSES DE VIENNE Un film de Marc Fitoussi

LES APPARENCES

Vienne, ses palais impériaux, son Danube bleu et… sa microscopique communauté française. Jeune couple en vue, Ève et Henri, parents d’un petit Malo, ont tout pour être heureux. Lui est le chef d’orchestre de l’Opéra, elle travaille à l’Institut français. Une vie apparemment sans fausse note, jusqu’au jour où Henri succombe au charme de l’institutrice de leur fils. 

Critique du film

Marc Fitoussi nous avait plutôt habitués à labourer le terrain de la comédie. Qu’elles soient policière, (Pauline Détective, 2011) sentimentale (La Ritournelle, 2014) ou sociale (Maman a tort, 2016), elles avaient pour point commun un joli sens du décalage, une finesse d’écriture et de grands et beaux rôles féminins. Avec Les Apparences, le réalisateur s’aventure sur le terrain du thriller psychologique, offrant un superbe rôle à Karin Viard, magistrale en bourgeoise parvenue et trompée. Exercice de style réussi, aussi retors qu’élégant, le film aurait pu être plus grand encore avec un casting au diapason de sa vedette et un scénario plus resserré.

Henri et Ève Monlibert forment un couple qui nage avec aisance dans les eaux calmes et parfumées de la communauté française viennoise. Chef d’orchestre couvert d’éloges, il affiche une morgue ennuyée face au petit théâtre des fréquentations obligées que sa femme contribue à animer avec un enthousiasme plaqué or. Fitoussi s’amuse beaucoup à peindre ce microcosme, où l’on compare la qualité de vie de diverses capitales européennes. Tout est évidemment beaucoup trop poli pour être honnête. Au milieu de ce cercle d’expatriés, mention spéciale à Pascale Arbillot, parfaite en amie que le moindre potin habille pour la soirée, langue de vipère trempée dans la bienséance. 

Vengeance machiavélique

La mère d’Ève, grand-mère de Malo (spectateur du drame et de Jacques Demy, à qui est adressée la plus belle réplique du film : « moi aussi j’ai le droit d’avoir une robe de lune »), le fils que le couple a adopté, est de passage à Vienne. Grande qualité du cinéma de Fitoussi, ces personnages secondaires qui en deux scènes permettent au scénario de détailler le portrait des protagonistes. On apprend qu’Ève (en réalité Évelyne) vient d’un milieu modeste. Elle est consubstantielle au vernis de cette société, superficielle et illusoire.  Alors qu’elle découvre qu’Henri la trompe, amour et appartenance vont se confondre à ses yeux. Soyons machiavélique, il sera bien temps d’être jalouse. Le temps d’une soirée d’abandon elle rencontre le jeune Jonas. À l’hôtel, il s’endort dans son giron. Seul à son réveil, Jonas file sous la douche, la caméra s’attarde sur le bracelet électronique qui ceint sa cheville…

Les apparences

Le film va alors entrecroiser deux trames narratives, celle de la vengeance de la femme bafouée et celle d’un inquiétant harcèlement. Deux registres qui permettent à Karine Viard de dérouler l’étendue de son talent. Il faut la voir jubiler après avoir hacké la messagerie électronique de sa rivale, osciller entre angoisse et rage, afficher le masque du bonheur lors d’une première à l’opéra, feindre la bonne surprise en recevant un cadeau d’anniversaire. Mais aussi jauger ses interlocuteurs après deux répliques sibyllines : «je suis le femme de sa vie» et «je te pardonne». Dans un rôle très huppertien, Karin Viard fait merveille, mystérieuse dans sa quête effrénée de reconnaissance. Face à elle, Benjamin Biolay campe d’abord une figure d’autorité convaincante. Le film avançant, son jeu dénué d’intention, finit par figer le personnage. L’acteur peine à accompagner le renversement de la jalousie que le scénario opère dans la dernière partie du film, l’affaiblissant. 

Élément structurant du film, la bande originale signée Bertrand Burgalat est d’une grande beauté classique. Elle scande l’évolution progressive de la tension et transcrit la couleur des sentiments de personnages qui s’escriment à les dissimuler. 

Viard au sommet de son art

D’une certaine façon, le drame qui conduit le couple devant les tribunaux vient embarrasser le scénario. Après avoir porté la tension à son acmé, le film semble expédier les affaires courantes. Le gouffre au-dessus duquel Eve luttait pour ne pas sombrer se transforme trop rapidement en simple épreuve. Seule une très belle scène avec la savoureuse Évelyne Buyle émeut vraiment. Elle renvoie à la vraie personnalité d’Ève, celle enfouie sous les conventions. Énigmatique, Ève le restera cependant jusqu’au bout. Parenthèse volée à l’enfance, elle s’autorise un tour de calèche. Elle n’est plus filmée en contre-plongée, reine saluant son roi à l’opéra mais à hauteur de caméra à laquelle elle adresse un dernier regard, frondeur et malicieux. 

Porté par une actrice au sommet de son art (la 7e nomination pour le César de la meilleure actrice est une évidence) et une superbe partition musicale, Les Apparences, en dépit de quelques maladresses, est une belle réussite, dans un genre que le cinéma français n’explore pas si souvent, à la croisée entre le thriller, le drame sentimental et la satire sociale. 

Bande-annonce

23 septembre 2020 – De Marc Fitoussi, avec Karin ViardBenjamin Biolay

 




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