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A l’issue d’une compétition internationale, le gouvernement néerlandais a annoncé vendredi 15 mars avoir sélectionné l’offre de Naval Group pour son programme de quatre nouveaux sous-marins.

(Article publié le 15/03/24) L’industriel français l’a emporté avec une proposition basée sur une version compacte et à propulsion conventionnelle des nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) du type Barracuda de la Marine nationale. Alors que cette décision va maintenant être débattue au parlement néerlandais, il ne s’agit pas encore d’une commande. Mais elle constitue une étape cruciale dans le processus de sélection puis d’acquisition, permettant à Naval Group d’entrer en négociations exclusives avec les Pays-Bas. Négociations autour des caractéristiques techniques, des prix, des délais ou encore du montage industriel. Si elles sont concluantes, ces négociations aboutiront à la signature du contrat pour le développement et la construction des quatre bâtiments, qui succèderont dans les années 2030 aux actuelles unités de la classe Walrus de la Koninklijke Marine.

Victoire face aux Allemands et au tandem suédo-néerlandais

Même s’il ne s’agit pas encore d’une commande, c’est déjà une très belle victoire pour Naval Group, qui s’est imposé face à son grand rival allemand TKMS et au tandem formé par le groupe suédois Saab et le constructeur néerlandais Damen. Le premier proposait le modèle U212 CD (2500 tonnes en surface) réalisé pour les marines allemande et norvégienne, alors que le second présentait une version agrandie (3000 tonnes) des A26 en cours de construction pour la Suède (voir notre article sur les trois offres concurrentes).

Un modèle plus gros offrant des capacités supérieures

Naval Group l’a emporté avec un bâtiment plus grand, répondant mieux aux besoins expéditionnaires de la marine néerlandaise, mais offrant aussi des capacités militaires accrues et éprouvées, en particulier la possibilité de mettre en œuvre des missiles de croisière capables de frapper des cibles terrestres en profondeur. Ce qui permettra aux Pays-Bas d'entrer dans un club encore très fermé des utilisateurs de missiles de croisière navals et de valoriser cette capacité à bord de ses futurs sous-marins au sein de l’OTAN. L’offre française est basée sur une version à propulsion conventionnelle des sous-marins de la famille Barracuda, dont deux (Suffren et Duguay-Trouin) ont déjà rejoint la Marine nationale, les quatre autres allant suivre d’ici 2029. Alors que les six unités françaises sont équipées d’une chaufferie nucléaire, la variante retenue par les Pays-Bas disposera de moteurs diesels et de batteries de nouvelle génération (technologie lithium-ion) permettant d’améliorer sensiblement l’autonomie en plongée.

 

© NAVAL GROUP

Vue du sous-marin sélectionné par les Pays-Bas. 

 

Version compacte et fortement armée des Barracuda

Tout en étant plus gros que ses concurrents et que les Walrus (67.7 mètres, 2650 tonnes en surface), le design proposé aux Pays-Bas est cependant plus compact que les SNA français (99.5 mètres de long, 8.8 mètres de diamètre, 4650 tonnes), puisqu’il mesure 82 mètres de long pour 8.2 mètres de large, son déplacement en surface étant de 3300 tonnes. L’autonomie, très importante, pourra atteindre 15.000 nautiques. Côté armement, les « Barracuda NL » pourront embarquer jusqu’à 30 armes lourdes (torpilles lourdes, missiles antinavire, missiles de croisière), ce qui est considérable et même plus important que les SNA français (24 armes avec les tubes). Le nombre de tubes de 533 mm passe d’ailleurs de quatre à six. Comme les Walrus, ils devraient aussi être en mesure de mouiller des mines, cette capacité n’étant cependant pas précisée à ce stade. Pas plus que la possibilité d’embarquer un hangar de pont pour les opérations spéciales, à l’image du DDS des Barracuda français. Bien que plus compacts que les SNA de la Marine nationale, ils conserveront un nombre de couchages importants, soit 59 en tout, l’équipage devant comprendre de 35 à 43 marins selon les missions, ce qui laisse donc a minima 16 places supplémentaires, par exemple pour des commandos. Dotés de gouvernes en X pour améliorer leur manœuvrabilité et de barres de plongée situées sur le massif (elles sont à l’avant sur les Barracuda français), les bâtiments proposés aux Néerlandais disposent des capteurs les plus récents en matière de détection sous-marine, avec la panoplie complète : sonar d’étrave, antennes de flanc et antenne linéaire remorquée.

 

© NAVAL GROUP

Vue du sous-marin sélectionné par les Pays-Bas. 

 

Un bateau pour des missions lointaines et hauturières comme les opérations plus près des côtes

Il ne s’agit donc absolument pas d’une reprise du modèle qui avait été développé pour l’Australie, dont le gabarit était équivalent voire supérieur aux SNA français. Naval Group a imaginé un sous-marin spécifique répondant au mieux aux besoins néerlandais, à la fois expéditionnaire mais aussi capables d’évoluer en zones littorales.

Par rapport aux Walrus, mis en service dans les années 90, « les quatre nouveaux bateaux représenteront une amélioration considérable en termes de design et dans bien d’autres domaines. La capacité de lancer des missiles de croisière, par exemple, augmentera considérablement la puissance de frappe. De plus, dotés des derniers capteurs et systèmes de communication, les nouveaux sous-marins seront encore mieux équipés que leurs prédécesseurs pour recueillir, analyser et partager des renseignements, qui peuvent s'avérer décisifs à chaque phase d'un conflit comme en temps de paix. Grâce à la technologie moderne des batteries, les bateaux auront également une plus grande capacité énergétique. Cela leur permettra de rester immergés plus longtemps et de fonctionner sans lever de tube (pour capter de l’air, ndlr) afin d'utiliser les moteurs diesel pour charger les batteries. Ils seront donc encore plus silencieux et moins vulnérables à la détection par l'ennemi », souligne le ministère néerlandais de la Défense.

« Naval Group a fait une offre équilibrée et réaliste »

Selon Christophe van der Maat, ministre de la Défense des Pays-Bas : « Naval Group a fait une offre équilibrée et réaliste ». Le chantier naval a créé un modèle qui s'avérera un digne successeur du sous-marin de la classe Walrus ». Il a également souligné que l'industrie néerlandaise « jouerait un rôle important dans la construction et l'entretien des sous-marins. Cette implication était un critère d'attribution clé. La décision d'attribution ne profitera donc pas seulement à la Marine royale néerlandaise et aux intérêts de sécurité du pays. Cela profitera également aux entreprises néerlandaises et favorisera le développement ultérieur de la position des Pays-Bas » en matière de compétences.

A l’occasion d'une visite à la base navale de Den Helder, le ministre a révélé le nom des quatre futurs sous-marins : Orka (orque), Zwaardvis (espadon), Barracuda et Tijgerhaai (requin tigre). Les deux premiers doivent être mis en service dans les dix ans suivant la signature du contrat. En attendant leur arrivée, la marine néerlandaise va prolonger deux de ses quatre Walrus, un premier bâtiment de ce type ayant déjà été désarmé fin 2023.

Un processus débuté en 2015

Cela fait une décennie que les Pays-Bas réfléchissent au renouvellement de leur flotte sous-marine. Le processus avait officiellement débuté en 2015 avec une étude destinée à déterminer, en fonction de l’évolution des menaces et des technologies, quels moyens devaient succéder aux Walrus. Toutes les options avaient été passées en revue, y compris celles relatives aux drones. Ces réflexions avaient finalement conclu à la nécessité de disposer de nouveaux sous-marins habités à capacités expéditionnaires, c’est-à-dire capables de se projeter loin et longtemps en autonomie. Ces conclusions, dites « Lettre A », avaient été approuvées en 2017 par le parlement néerlandais. A cette occasion, il était aussi devenu évident que le pays, qui n’avait pas construit de sous-marins depuis les Walrus, avait perdu les compétences nécessaires, ce qui impliquait d’avoir recours à un partenaire étranger. Le processus s’est ensuite poursuivi avec la consultation de quatre constructeurs : Naval Group, Saab (qui s’est allié à Damen), TKMS mais aussi le groupe espagnol Navantia. Une phase de dialogue compétitif s’est alors déroulée de 2020 à 2022 entre les industriels et le ministère néerlandais de la Défense, aboutissant à une étude de marché sur une solution expéditionnaire (Lettre B) transmise au parlement. Il en a résulté l’exclusion de Navantia et de son S-80. Les Pays-Bas ont alors émis une RFQ (request for quotation) auprès des trois derniers industriels en course, qui ont remis leurs offres en juillet 2023. C’est sur cette base que la proposition française a été choisie.

Débats au parlement et recours éventuels

Que va-t-il se passer maintenant ? Déjà, après avoir entériné la décision en conseil des ministres ce vendredi 15 mars, le gouvernement néerlandais a transmis un dossier (Lettre D) motivant son choix au parlement, qui va l’examiner. Un débat a déjà eu lieu cette semaine à ce sujet, porté notamment par des élus de provinces où Damen est implanté et qui sont hostiles à l’offre française. De nouveaux débats devraient avoir lieu, le parlement pouvant aussi demander des informations complémentaires au gouvernement. Son avis final ne serait que consultatif mais une issue favorable est évidemment souhaitable sur le plan politique. Dans le même temps, il conviendra de voir si le dossier prend éventuellement une tournure juridique. Les candidats écartés peuvent en effet former des recours contre la décision du gouvernement. On pense en particulier à Damen.

Des négociations à venir autour notamment du montage industriel

Parallèlement, les négociations débutent donc avec Naval Group. Elles vont notamment porter sur le prix, qui se calcule ici en milliards d’euros et dépend des options retenues et du périmètre des contrats (par exemple avec ou sans les armes), les délais et surtout l’implication de l’industrie néerlandaise. Les Pays-Bas souhaitent en effet un maximum de retombées économiques et profiter de ce programme pour renforcer leur base industrielle et technologique de défense. Un accord de coopération industrielle (ICA) devra donc être validé. « Le chantier naval gagnant doit contribuer au renforcement de cette base. Un élément clé, voire une condition pour l'attribution du marché, est donc la conclusion d'un ICA avec le chantier naval retenu », souligne le ministère néerlandais de la Défense, qui travaille sur cette question avec son homologue de l’Economie. Un protocole d’accord étatique devra également être conclu entre la France et les Pays-Bas. « Les domaines couverts par ce protocole d'accord comprendront les droits d'utilisation, la sécurité de l'information et le partage des connaissances ».

Une coopération ancienne et déjà importante avec les entreprises néerlandaises

Sur le plan industriel, le montage n’est donc pas encore annoncé puisqu’il est toujours en discussion. Un partenariat avait cependant déjà été annoncé entre Naval Group et Royal IHC afin que ce dernier participe à la construction des sous-marins. Quant à savoir jusqu’à quel niveau de production le chantier néerlandais, situé au bord de la rivière Merwede, près de Rotterdam, sera impliqué, cela demeure encore en suspens. Alors que différents sites français de Naval Group seront forcément mobilisés dans le programme, à commencer par Cherbourg, l’industriel tricolore a en tous cas déjà identifié 300 entreprises néerlandaises comme fournisseurs de programmes navals. Certaines le sont d’ailleurs déjà puisque les Pays-Bas sont en fait, à ce jour, le deuxième fournisseur d’équipements de Naval Group, en particulier grâce aux radars de la filiale néerlandaise de Thales. L’industriel français s’appuie également sur le Maritime Research Institute Netherlands (MARIN) de Delft et ses moyens d’essais, numériques et en bassins, pour tester l’hydrodynamique des coques de bâtiments qu’il conçoit. Et d’autres sociétés basées aux Pays-Bas sont des fournisseurs réguliers des chantiers français, comme Rubber Design, qui livre des élastomères employés pour absorber les bruits.

La coopération entre Naval Group et les Pays-Bas est donc ancienne et s’est déjà renforcée ces dernières années avec le programme des douze bâtiments de guerre des mines belgo-néerlandais, que l’industriel français a remporté en 2019 avec son compatriote Exail. Les bâtiments sont en cours de construction en Bretagne, la première unité destinée à la Koninklijke Marine devant être livrée en 2025.

Relancer la dynamique sur le marché des sous-marins

Bien qu’il soit logique de rester prudent en attendant la commande, espérée dans les mois qui viennent au terme des négociations, ce 15 mars restera comme un grand jour pour Naval Group. C'est en effet la première fois depuis les Agosta espagnols commandés en 1975 que des sous-marins français sont vendus à un pays européen. L'Industriel n'avait par ailleurs pas remporté de nouveau succès international sur le marché des sous-marins depuis le contrat australien, en 2016. Un programme pharaonique finalement abandonné en 2020 par Canberra, les Barracuda français étant sacrifiés sur l’autel de l’alliance AUKUS avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Un choix uniquement politique puisque le design final venait d’être validé par les Australiens, ce qui devait déboucher sur la commande rapide de la tête de série. Naval Group a depuis tourné la page et poursuivi ses programmes de sous-marins en France, avec les SNA de la classe Suffren et désormais les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de troisième génération (SNLE 3G), mais aussi à l’international avec la famille des Scorpène, des bâtiments de 66 à 77 mètres et 1700 à 2000 tonnes. Au Brésil, où un nouveau chantier a été édifié de toute pièce avec l’aide de Naval Group, le troisième des quatre sous-marins de ce type destiné à la Marinha do Brasil sera mis à l’eau ce mois-ci. En Inde, où six Scorpène ont été réalisés en transfert de technologie à Mumbai, la sixième et dernière unité commandée par la marine indienne sera livrée cette année, alors que les discussions se poursuivent avec New Delhi pour la commande de trois bâtiments supplémentaires.

Pendant ce temps, le Scorpène, également en service au Chili et en Malaisie, semble bien placé dans la compétition pour les deux nouveaux sous-marins indonésiens. Naval Group positionne également ce modèle dans d’autres pays, comme les Philippines, mais aussi en Pologne où le gouvernement semble vouloir relancer son projet de nouveaux sous-marins.

Le choix des Pays-Bas devrait contribuer à ce dynamisme, mais ajoute aussi une nouvelle corde à l’arc de l’industriel français, qui dispose désormais d’un modèle intermédiaire entre le Scorpène et le Barracuda, une nouveauté susceptible d’intéresser de nouveaux clients.

© Un article de Vincent Groizeleau de la rédaction de Mer et Marine. Reproduction interdite sans consentement du ou des auteurs.

 

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