Critique : BlacKkKlansman

Grand Prix du jury lors du Festival de Cannes 2018, BlacKkKlansman remet Spike Lee au rang des cinéastes américains qui frappent sur la table avec vigueur. Si le racisme est toujours en ligne de mire, cette histoire assez incroyable, inspirée de faits réels, embrassant clivages raciaux et religieux n’est pas un appel aux armes mais un furieux vœu pour l’apaisement.

Le fiel américain

Bien que l’action de BlacKkKlansman se déroule dans les années 1970, le film de Spike Lee évoque une Amérique qui n’a pas évolué depuis la Guerre de Sécession, voire empiré. Car la trajectoire de ce long métrage s’appuie bien sur la guerre civile américaine pour rejoindre les événements dramatiques de Charlottesville en 2017 lors du rassemblement de l’extrême droite américaine. Sur le « land of the free », la liberté d’expression permet d’exposer en pleine rue sa sottise et sa haine envers l’autre. L’autre, c’est celui qui n’est pas blanc, ni protestant. L’autre, dans BlacKkKlansman, c’est Ron Stallworth (John David Washington), premier flic noir de Colorado Springs qui, invité à infiltrer les activistes noirs afin de prévenir toute action violente, parviendra à l’incroyable : infiltrer la division locale du Ku Klux Klan. L’autre, c’est son coéquipier Flip Zimmerman (Adam Driver), flic blanc mais juif – les autres générateurs de haine au sein des suprémacistes blancs –, qui, en se faisant passer pour Ron Stallworth, doit aussi prendre sur lui face aux propos antisémites, et ce, bien qu’il ne soit pas du tout pratiquant. Au détour d’une conversation entre les deux policiers, Spike Lee soulève quelque chose d’intéressant sur l’identité et l’héritage culturel, comment soudain, une forme d’agression profondément méprisable et vénéneuse peut créer un déclic si bénéfique. Il ne sera pas question d’aller se plonger dans la Torah, mais il y a la prise de conscience de l’infamie que peut vivre, quotidiennement, un afro-américain dans un milieu raciste, hostile. Car l’ennemi n’est pas simplement l’imbécile débordant de haine du KKK, mais aussi ces policiers qui qualifient les noirs de « toad » – terme péjoratif difficile à traduire en français, d’ailleurs traduit par « basané » dans le film – et intimident des militants afro-américains.

C’est en se faisant passer par téléphone pour un raciste remonté que Ron Stallworth établit le contact initial avec le KKK. Ces conversations téléphoniques, où la haine raciale se retrouve abordée par le prisme de la comédie, font de l’attaque frontale de Spike Lee un geste politique fort, propulsé par l’ironie et l’insolite. Dépeint comme des idiots, les membres du KKK, dont leur leader David Duke (Topher Grace), sont certes caricaturaux, mais aussi de parfaits représentants des idéaux haineux que l’ont peut constater si simplement aujourd’hui grâce à internet, sur les forums et réseaux sociaux. C’est en couvrant de honte la haine que le film frappe fort, maquant probablement le coche sur le versant du montage avec quelques scènes particulièrement distendues. Pourtant, ce film qui joue avec les codes de la comédie et du polar ne plie jamais : il y a un duo parfait qui se construit entre le débutant John David Washington – fils du célèbre Denzel qui a travaillé à de nombreuses reprises avec Spike Lee, notamment dans le biopic Malcolm X – et Adam Driver, deux hommes qui vont risquer leur peau pour une cause juste mais aussi peut-être désespérée ? Infiltrer un groupe est une chose, dissiper des mentalités vénéneuses qui se transmettent de génération en génération est un combat d’une tout autre envergure. Bien que grisant par certaines petites victoires et éclats humoristiques, le film conserve une forme d’amertume liée à l’état actuel de la discrimination et de la violence raciales, pointant du doigt ouvertement le triste occupant de la Maison Blanche, l’épouvantable Donald Trump.

Moins mordant dans son versant romancé avec le personnage de Laura Harrier, Patrice Dumas, une militante très active, BlacKkKlansman montre l’engagement d’une femme de convictions, plaçant au premier plan de sa vie ses idéaux politiques. Ron et Patrice représentent alors deux visions de la lutte, l’un sous le mode de l’infiltration, déjà en gagnant les rangs d’une police 100% blanche, et l’autre en organisant plusieurs types de manifestation et rencontres, figure forte représentant donc une cible pour les plus virulents membres du KKK. Dans ce couple potentiel, c’est l’action qui prime, et ce, sans recours à la violence – ici, la violence sera toujours catalysée ou retournée contre sa source. Si pour d’aucuns, Spike Lee enfonce des portes ouvertes avec ce long métrage, il nous rappellera dans les années à venir qu’aujourd’hui, en 2018, les Etats-Unis – entre autres – sont une contrée gangrenée par une haine absurde jusqu’aux plus hautes instances de l’état. Et ce portrait du téméraire Ron Stallworth d’appeler à la vigilance, l’ignominie est bien là, si proche, au seuil de nos portes : c’est à nous d’agir pour une société de respect et d’égalité.

A lire aussi : la découverte du film à Cannes.

4.5 étoiles

 

BlacKkKlansman

Film américain
Réalisateur : Spike Lee
Avec : John David Washington, Adam Driver, Laura Harrier, Topher Grace, Jasper Pääkkönen, Ryan Eggold, Paul Walter Hauser, Corey Hawkins, Alec Baldwin
Scénario de : de Charlie Wacthel, David Rabinowitz, Kevin Willmott, Spike Lee d’après un roman de Ron Stallworth
Durée : 135 min
Genre : Biopic, Comédie, Policier
Date de sortie en France : 22 août 2018
Distributeur : Universal Pictures International France

 

 

Article rédigé par Dom

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