Critique : Les Frères Sisters

Jacques Audiard part à la conquête de l’Ouest, à la demande de John C. Reilly, détenteur, avec sa femme, des droits du roman de Patrick DeWitt, Les frères Sisters. Avec les aventures de deux chasseurs de primes, deux tempéraments opposés unis par les liens du sang, le réalisateur français réussit un nouveau défi.

Chevauchée fraternelle

Il fallait peut-être cet appel pour apporter un nouvel élan au cinéma de Jacques Audiard, suite à sa Palme d’Or reçue pour le paradoxal Dheepan, celui d’un comédien et producteur désireux de confier un projet à un cinéaste étranger. C’est suite à sa découverte du film De Rouille et d’Os que John C. Reilly a trouvé celui qui adaptera Les Frères Sisters, dont il détenait les droits sur le roman avec son épouse Alison Dickey. Il est facile de se casser les dents en quittant ses terres natales pour tourner, et d’autant plus facile en se frottant au genre du western avec des acteurs américains. Audiard s’entoure déjà de fidèles compagnons, Thomas Bidegain l’accompagne à l’adaptation du roman, et Alexandre Desplat répond présent pour la bande originale du film, à la fois ancrée dans le genre et cherchant d’autres espaces, par son emploi du piano donnant la cadence fantastique de certains thèmes. L’action débute dans l’Oregon, en 1851. Les frères Sisters, Charlie (Joaquin Phoenix) et Eli (John C. Reilly) sont réputés pour ne laisser aucune chance à leurs proies. Employé par le Commodore d’Oregon City, ils doivent exécuter un certain Hermann Kermit Warm (Riz Ahmed) qui l’aurait volé. Pour faciliter leur tâche, un détective, John Morris (Jake Gyllenhaal), est chargé de trouver, suivre et ralentir leur cible. Au cours de cette chevauchée fraternelle, on assiste à la construction de l’Amérique, de ces villes qui sortent de terre à un rythme ahurissant, du progrès fulgurant, grâce aux richesses, à l’or, et d’une civilisation qui avance et se forge dans la violence.

Les Frères Sisters, en creusant le portrait de ses personnages, évoque autant la construction d’un nouveau monde que le fardeau de l’héritage, du déterminisme. Au fil du récit, le passé des Sisters se dévoile, comme celui de Morris qui, rapidement, décide d’accompagner Warm au lieu de lui tendre un piège. Homme de science, Warm est recherché par le Commodore car il détient une formule qui lui permettrait de trouver de l’or avec une facilité déconcertante, et son projet final tient de l’utopie, celle de fonder une société démocratique dans le nord du Texas. Le détective, homme de lettres, tombe sous le charme de cet idéal. Mais les Sisters ne lâchent pas le morceau malgré la disparition de toute piste, abdiquer ne fait pas partie de leur vocabulaire, surtout de celui de Charlie, le cadet, écorché qui ne perd pas la moindre occasion de se saouler et de faire parler la poudre en ville. Le grand Eli est tout l’opposé de son frangin, c’est un vrai sentimental, qui aimerait se ranger, quitter cette routine de violence. C’est le genre de personnage qui pourrait être séduit par le projet de Warm, et qui pourrait alors modifier toute la trajectoire du film.

Introspectif, Les Frères Sisters se détourne du western aux confrontations palpitantes, d’ailleurs, les quelques échanges de coups de feu s’avèrent un peu décevants, brouillons dans leur gestion de l’espace : la lecture de l’action y est difficile. Mais Audiard saisit des paysages, inscrit ses personnages dans une nature fascinante, et qui les fascine aussi. Ces grands espaces – trouvés en Espagne et en Roumanie, le tournage ne s’étant pas déroulé aux Etats-Unis – sont comme la promesse d’un autre monde, une alternative à ce qui se trame avec la floraison des villes, la prospérité des vils… Quel comportement adopter, quand on ne pense pas simplement pour soi mais aussi pour son frère ? Les liens du sang sont sacrés chez les Sisters, incapables de se séparer malgré les brouilles et opinions divergents. C’est par une multitude de détails que le film de Jacques Audiard trouve une forme de grâce malgré des images parfois terriblement violentes, et la noirceur latente d’une chevauchée où les issues sereines semblent chimériques. Avec des images fabuleuses éclairées par Benoît Debie, un quatuor de comédiens captivant, Les Frères Sisters nous offre une vision pittoresque et pénétrante du Far West. Un grand film.

4 étoiles

 

Les Frères Sisters

Film français
Réalisateur : Jacques Audiard
Avec : John C. Reilly, Joaquin Phoenix, Jake Gyllenhaal, Riz Ahmed, Rebecca Root, Allison Tolman, Rutger Hauer
Scénario de : Jacques Audiard, Thomas Bidegain d’après le romain éponyme de Patrick DeWitt
Durée : 121 min
Genre : Western
Date de sortie en France : 19 septembre 2018
Distributeur : UGC Distribution

 

Article rédigé par Dom

Partagez cet article avec vos amis ou votre communauté :

Twitter Facebook Google Plus

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Comments links could be nofollow free.

 

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Avant de publier un commentaire, vous devez lire et approuver notre politique de confidentialité.