Critique : La Favorite

Récompensé en 2017 du Prix du meilleur scénario à Cannes pour Mise à mort du cerf sacré, Yórgos Lánthimos pose sa plume pour se concentrer sur la mise en scène avec La Favorite. Ce biopic, écrit par Deborah Davis et Tony McNamara, est peut-être le meilleur film du cinéaste grecque.

Pouvoir et servitude

Yórgos Lánthimos est définitivement un cinéaste des plus surprenants, par la nature de ses œuvres mais aussi la trajectoire singulière qu’elles tissent au fil des années. Après The Lobster, jusqu’à maintenant son film le plus accessible, lui valant un Prix du jury à Cannes, il retourne à un cinéma plus vénéneux et troublant avec le mal aimé Mise à mort du cerf sacré, en affinant sa mise en scène dans un style qui touche parfois à l’univers de Stanley Kubrick. Avec La Favorite, le voilà qui s’attaque au genre du biopic, tout en nourrissant cet aspect kubrickien dans son style, notamment dans l’emploi des courtes focales et du steadicam – et difficile de ne pas penser à Barry Lyndon pour les scènes éclairées à la bougie. Un film simple d’accès et pourtant encore plus fascinant que ses œuvres précédentes. Déjà, ce biopic avoue sa part de fiction, de réalité déformée – ces plans en très courtes focales déformant l’image : ce qui nous est raconté sur la cour de la reine Anne au XVIIIème siècle est en partie fictionnel, comme les 17 lapins que la souveraine cajole dans sa chambre. Fastueux et iconoclaste dans son approche du film en costume, La Favorite traite de pouvoir, de rivalité et de jalousie. Cocktail explosif manipulé avec maestria par les trois comédiennes au cœur de ce récit, Olivia Colman, dans le rôle de la reine Anne, Rachel Weisz dans le rôle de Lady Marlborough, et Emma Stone, dans le rôle d’Abigail Masham, jeune servante présentant ses services à la cour. Abigail, lady déchue, vendue par son père ayant tout perdu, ne débarque pas à la cour sans idée derrière la tête, Lady Marlborough est une parente éloignée auprès de laquelle elle demande de l’aide. Cette dernière lui concède une place parmi les servantes en cuisine sans imaginer ce que lui coûtera cette nouvelle arrivante.

Courtisée par les hommes de la cour, Abigail cherche à récupérer son titre et obtenir du pouvoir. Un pouvoir entre les mains de Lady Marlborough, influençant fortement la trajectoire politique de l’Angleterre, alors en guerre avec la France – son mari est d’ailleurs parmi les soldats menant bataille sur nos terres. Car si Anne règne, cette reine maladive, aux sautes d’humeur terribles pour son entourage, laisse Lady Marlborough lui guider sa conduite, la pousse à augmenter les impôts pour mener la guerre alors qu’intérieurement, elle préférerait voir les troupes revenir. Grâce à son intelligence et son audace, Abigail parvient à s’approcher de la reine, en lui soignant ses jambes, affectées par la goutte. En grimpant dans l’estime de la reine, Abigail devient alors une ennemie de Lady Marlborough, faisant de cette chronique historique une fascinante confrontation où d’autres pièces jouent un rôle capital sur l’échiquier politique, comme Robert Harley (Nicholas Hoult), membre de l’opposition qui compte utiliser Abigail pour connaître les faits et gestes de Lady Marlborough. Et comme de tout temps, sexe et pouvoir se dressent comme une dangereuse lame à double tranchant.

La Favorite devient jubilatoire lorsqu’il dégaine des saillies comiques ainsi que des sorties anachroniques parfois délirantes, et ce, sans briser la qualité historique de l’œuvre. On peut citer une scène de danse qui flirte avec le breakdance et qui rejoint une autre scène ahurissante, peut-être véridique, peut-être tout aussi fausse, ou des membres de la cour s’amusent à lancer des fruits sur un homme nu. Quelque part, le trouble de l’anachronisme et de l’indécence conduisent à une étrange forme de folie. La Favorite dépeint une royauté déconnectée des réalités. Lorsque l’on rapporte à Anne ce que désire le peuple, cette dernière se retrouve outrée : ces derniers n’ont pas leur mot à dire. Drôle d’écho avec la politique menée de nos jours, que ce soit outre-manche, en France ou ailleurs. Brillant grâce à ses actrices, merveilleux par son cadre et ses costumes, le nouveau film de Yórgos Lánthimos tient de la tragédie ultra moderne, capable de raconter le passé en jouant avec des éléments contemporains. Oser une telle œuvre sur le pouvoir et la servitude était un vrai défi, relevé avec brio. Exquis et audacieux.

4.5 étoiles

 

La Favorite

Film américain, britannique, irlandais
Réalisateur : Yórgos Lánthimos
Avec : Emma Stone, Rachel Weisz, Olivia Colman, Nicholas Hoult, Joe Alwyn
Titre original : The Favourite
Scénario de : Deborah Davis, Tony McNamara
Durée : 119 min
Genre : Biopic, Comédie dramatique
Date de sortie en France : 6 février 2019
Distributeur : Twentieth Century Fox France

 

Article rédigé par Dom

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