Critique : Alita Battle Angel

Adaptation du manga culte Gunnm de Yukito Kishiro, Alita : Battle Angel réunit James Cameron, comme scénariste et producteur, avec Robert Rodriguez. Malgré une certaine forme d’application à la tâche, voilà un bel outrage à la culture nippone encore une fois dépouillée de ses caractéristiques.

Ange déchu

Il y a douze ans, Robert Rodriguez nous offrait un spectacle jouissif dans lequel Rose McGowan, héroïne bad ass, dérouillait joyeusement du zombie avec son fusil d’assaut remplaçant une jambe perdue. C’était l’été 2007 et depuis, le pote de Quentin Tarantino à qui l’on doit aussi Une nuit en enfer ou encore Sin City n’a rien réalisé de fort. Cinéaste de la débrouille qui avait réalisé son premier long métrage pour une somme dérisoire, El Mariachi, le voilà avec Alita Battle Angel aux commandes de son film le plus cher avec ses 200 millions de dollars. Adapter, c’est trahir, prendre des libertés, s’approprier une œuvre pour la transformer, et dans le meilleur des cas, la transcender. Tout comme avec le passable Ghost in the Shell, l’univers de Gunnm est lissé à l’extrême, passé à l’eau de javel pour obtenir un produit en apparence conforme avec les tristes standards du blockbuster actuel et fondamentalement si médiocres. Si Gally s’appelle désormais Alita, cela tient d’une traduction déjà opérée pour la sortie du manga dans les pays anglo-saxons. Un détail insignifiant face aux nombreuses casseroles que traînent ce film de science-fiction sans caractère. D’emblée, le travail de Junkie XL sur la bande originale a rarement été aussi impersonnel et intrusif ; omniprésente et galvanisante dans Mad Max Fury Road, la musique surligne outrancièrement toutes les émotions comme dans un mauvais mélodrame. Alita, notre héroïne cyborg, est jouée par Rosa Salazar en performance capture face à des acteurs si lisses. En premier lieu le catastrophique Keean Johnson, dont l’absence de charisme nuit au développement de sa relation amicale puis sentimentale avec cette machine remise en route par le Docteur Ido – Christoph Waltz, trop loin de la figure originelle et au jeu fade. Jennifer Connelly peine aussi et c’est Mahershala Ali, dans un rôle de Vector horriblement défiguré, qui assure la meilleure partition.

D’habitude, la performance capture est exploitée pour humaniser des créatures éloignées de l’être humain, de Gollum aux Na’vi en passant par King Kong, le résultat impressionne toujours. Dans Alita Battle Angel, le procédé est utilisé pour livrer un visage humain, plus fin que les traits de la comédienne avec des yeux exagérément grossis, pour correspondre au manga selon les dires de Robert Rodriguez. Or, dans l’oeuvre de Kishiro, tous les personnages possèdent des caractéristiques « mangas » dans leurs traits faciaux, un petit nez, un menton très fin, etc. Rien ne justifie vraiment ce procédé qui nuit à l’empathie que l’on peut éprouver pour Alita en présence d’acteurs « en chair et en os. » Un choix douteux dans la direction artistique que l’on retrouve dans tous l’univers d’Iron City, devenu si propret, presque stérile. Pour situer l’intrigue, le film se déroule dans une ville décharge au XXVIème siècle, où les habitants, qui survivent de trafics d’organes et de membres robotiques ou encore grâce au dangereux motorball, rêvent de quitter ce lieu pour gagner la cité surplombant leur morne et dangereux quotidien : Zalem. Un rêve qu’Hugo va transmettre à Alita, qui décide de rejoindre le clan des patibulaires chasseurs de prime de la ville. Déjà adapté en film d’animation par Hiroshi Fukutomi en 1993, Gunnm se montrait satisfaisant grâce à son style fidèle au manga mais aussi sa courte durée, s’appuyant sur un arc narratif simple. Dans ce long métrage, adapté par James Cameron, Laeta Kalogridis – qui porte dans son C.V. l’ignoble Terminator Genisys – et Robert Rodriguez, deux arcs narratifs se superposent lourdement, empêchant Alita de prendre vie puis de l’ampleur comme dans le matériau originel.

Quête identitaire d’une femme cyborg, intégration dans une société à la dérive et appel de l’aventure – pour gagner un monde meilleur – sont les trois grands axes abordés par ce long métrage sans jamais réussir à donner de la profondeur à l’un de ces éléments. La violence originelle qui contraste avec la candeur initiale de Gally/Alita rendait le parcours de la protagoniste captivant, grâce à ce conflit entre deux extrêmes. La violence est si aseptisée dans ce film qu’un élément clé s’est évanoui, et même en tentant d’oublier la richesse du monde dystopique de Gunnm, Alita Battle Angel apparaît comme un produit manufacturé pour la masse. L’image, si peu expressive, trouve un certain éclat lors d’une grisante course de motorball si tardive. Comment l’homme derrière Terminator et Terminator 2 ainsi que celui derrière Une nuit en Enfer et Planet Terror peuvent se satisfaire d’une telle adaptation ? Pourrait-on voir aujourd’hui des œuvres telles que Starship Troopers ou dans un registre différent Fight Club au cinéma ? Il est fort probable que non, et l’ange déchu de Yukito Kishiro prolonge une standardisation de la médiocrité en route depuis quelques années dans l’univers des adaptations à gros budget. Tristesse infinie.

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Alita : Battle Angel

Film américain, argentin, canadien
Réalisateur : Robert Rodriguez
Avec : Rosa Salazar, Christoph Waltz, Keean Johnson, Jennifer Connelly, Mahershala Ali, Ed Skrein, Jackie Earle Haley
Scénario de : James Cameron, Laeta Kalogridis, Robert Rodriguez, d’après Gunnm de Yukito Kishiro
Durée : 122 min
Genre : Science-fiction, Action
Date de sortie en France : 13 février 2019
Distributeur : Twentieth Century Fox France

 

Article rédigé par Dom

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2 commentaires

  1. Dur cet avis…. Pour ma part une très bonne surprise. Fx magnifiques et une héroïne plus complexe qu’à l’accoutumé (on pense à « Ghost in the Shell » 2017)

  2. Je suis toujours enthousiaste quand j’entre dans une salle de cinéma pour y découvrir des films, mais là j’en ai assez des massacres opérés sur d’autres cultures par les américains. Gunnm méritait bien mieux en osant un peu plus, mais à vouloir faire du cinéma business tout public, on en arrive à lisser des oeuvres incroyablement sombres. Ca m’inquiète un peu pour les suites d’Avatar d’ailleurs.

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