Critique : Parasite

Palme d’or du Festival de Cannes 2019, Parasite place Bong Joon-ho sous le feu des projecteurs. Une récompense historique pour la Corée du Sud pour une satire sociale détonante, dont le message désolant dépasse les frontières nationales du réalisateur de Memories of Murder.

Civilisation du naufrage

Comme déjà énoncé dans le journal de bord du Festival de Cannes, il a été demandé aux festivaliers de ne pas spoiler Parasite, plus précisément sans dévoiler des événements qui surviennent après la première demi-heure du film, approximativement. Lors de la cérémonie de clôture qui a sacré le film de Bong Joon-ho, pour remettre le Prix de la mise en scène aux frères Dardenne, Viggo Mortensen a rendu un hommage à Agnès Varda en évoquant un échange qu’il avait eu avec la cinéaste lors d’un trajet en avion, et si la figure de la Nouvelle Vague évoquait l’art du cinéma, on pourrait appliquer sa belle parole au marketing appliqué aux films : « Pour bien raconter, pour faire du bon cinéma, il ne faut pas montrer, il faut simplement donner l’envie de voir. » Donner l’envie de voir ! Ce n’est pas le cas pour Parasite, mais aujourd’hui, des plus gros blockbusters avec leur armada de teasers et bandes-annonces jusqu’à certains films de la catégorie « Art et essai », les distributeurs n’ont qu’une seule aveugle volonté, ramener le spectateur en salle, quitte à lui mentir et quitte à tout dévoiler. Il faut que cela cesse, de massacrer les images, de remodeler les séquences, de pervertir le cinéma pour des raisons purement mercantiles alors qu’il existe des alternatives pour inviter à se rendre au cinéma. Mais trêve de digression.

En 2013, avec l’adaptation de BD Snowpiercer, Bong Joon-ho évoquait déjà la condition humaine et la lutte des classes au travers d’une révolution. Le cadre futuriste et post-apocalyptique créaient naturellement une distance avec notre société. Dans Parasite, film dénué de créature avec un titre qui peut porter à confusion avec la filmographie de Bong Joon-ho où l’on a pu trouver des entités fantastiques avec The Host ou plus récemment Okja, la lutte des classes prend place de nos jours, sous une forme incroyablement puissante, où le cinéaste coréen s’amuse avec les genres avec une maîtrise absolue. Comme il le déclare lui-même, ce film est une comédie sans clown et une tragédie sans méchant. Mais si l’on doit trouver un monstre dans ce film, il est immatériel mais régit notre monde : le capitalisme. En compartimentant – retour au train de Snowpiercer – la société sur le facteur économique et financier, les rapports entre les hommes ne peuvent plus que sombrer dans la jalousie et le mépris, conduisant à l’agressivité, qui elle-même, à son paroxysme, mène au besoin de détruire cet étranger, de l’écraser tel un insecte, un parasite. Sans développer de propos spéciste, l’idée est déjà véhiculée au début du film parmi cette famille pauvre, celle de Ki-taek (Song Kang-ho), vivant dans un sordide appartement souterrain, dont les fenêtres donnent à hauteur de trottoir. Alors que toute la famille s’active pour fabriquer des boites pour pizza, un exterminateur projette son poison dans la rue : Ki-taek préfère que le logement soit envahi de pesticides afin d’éliminer les insectes gratuitement. Tout comme cette famille dans le besoin représentera une vermine pour l’opulente famille Park qui va être leur cible, cet homme déambulant et urinant près de leur fenêtre, dont on ne connaît rien si ce n’est son penchant pour l’alcool, représente une entité hostile, là où un rapport humain pourrait s’établir. Pourraient-ils l’aider ? C’est incertain, mais ils pourraient au moins parler avec cet homme visiblement en détresse.

Ki-Woo (Choi Woo-sik) va s’introduire au sein de la famille Park grâce à une arnaque suggérée par un ami : se faire embaucher comme professeur d’anglais particulier pour leur fille à l’aide d’un faux diplôme. L’étape suivante, introduire sa sœur – sans révéler leur lien – Ki-Jung (Park So-Dam) comme professeure de dessin spécialisée en art-thérapie pour le fils des Park. Ainsi, les plus démunis se greffent sur les plus riches, d’abord à la façon d’un moustique, mais pour ensuite se glisser sous l’épiderme, dans une logique de contagion violente, s’appliquant sans empathie. Avec sa galerie de comédiens géniaux, un sens de la mise en scène phénoménal, Bong Joon-ho parvient à faire survenir le comique de situations profondément désolantes. Il y a quelque chose de génial dans le domaine du burlesque que de voir un homme ramper comme un ver pour échapper à la vue de quelqu’un. Hors contexte, ces quelques plans resteraient toujours aussi drôles. Pourtant, avec cette caméra en plongée, il y a ici cette épouvantable logique des classes qui s’impose, il y a cet homme qui n’est qu’un moins que rien, rampant, un nuisible tentant d’échapper au regard au milieu de la nuit pour ne pas être écrasé, expulsé vers le néant.

Dans son flux narratif, Parasite parvient à amplifier sa vision terrible, à dépasser l’aspect ludique de son principe qui lui sert de moteur. L’envie et le désir de s’extirper de sa triste condition n’est pas le seul élément qui agite le récit autour de la maison des Park, il y a aussi cette tétanisante idée de l’asservissement, du déni complet de soi dans une sorte de fanatisme effroyable. De l’esclavagisme des temps modernes, pas ceux de Chaplin, mais d’un monde devenu complètement fou dans sa rupture, sa déconnexion avec les valeurs les plus simples de la vie. En contant l’impossibilité d’une symbiose humaine, Bong Joon-ho explore la civilisation du naufrage que nous avons façonné insidieusement au fil des années. A l’aube de grands changements climatiques, la brutalité des rapports des classes ne pourront que croître, à moins qu’un miracle sans précédent ou qu’un désastre exceptionnel vienne mettre fin à notre triste comédie. Plaisir de la forme et férocité du fond, Parasite constitue une Palme d’or saisissante.

5 étoiles

 

Parasite

Film sud-coréen
Réalisateur : Bong Joon-ho
Avec : Choi Woo-sik, Song Kang-ho, Park So-Dam, Cho Yeo-jeong, Lee Sun-kyun, Lee Jeong-eun, Chang Hyae-jin, Jung Hyeon-jun
Titre original : Gisaengchung 
Scénario de : Bong Joon-ho, Han Jin-won, Kim Dae-hwan
Durée : 132 min
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie en France : 5 juin 2019
Distributeur : Les Bookmakers / The Jokers

 

Article rédigé par Dom

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Un commentaire

  1. Effectivement un grand film. Entre sur le podium 2019 🙂

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