Critique : Un pays qui se tient sage

Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs 2020, Un pays qui se tient sage de David Dufresne se penche sur les méthodes du maintien de l’ordre en manifestation, et dont la violence s’amplifie depuis quelques années. Composé de vidéos de téléphone, ce documentaire permet de renouer avec ce qui est souvent absent lors de leurs diffusions sur internet ou à la télévision : le décryptage et la recherche du sens.

Démocratie chancelante

Il y a une rhétorique simple, efficace et définitive, claironnée par le gouvernement dans le sillon de chaque manifestation des gilets jaunes : la violence exercée par la police est une réponse légitime à la violence des manifestants. David Dufresne, qui compile notamment sur Twitter les signalements de violences policières en manifestation, consacre ce documentaire à cette notion de violence, ses sources multiples, ses raisons et ce qu’elle montre aussi dans l’exercice du pouvoir. Historiens, philosophes, sociologues, journalistes, manifestants grièvement blessés et de rares membres des forces de l’ordre s’expriment face à un florilège de vidéos illustrant deux années d’un conflit social qui subsiste toujours – et avec pour moteur, la précarité, que pouvons-nous attendre des mois à venir avec l’endettement colossal du pays, associé à un manque d’ambition absolu du gouvernement, maintenant le cap sur la même idéologie délétère ? Ces images qui se succèdent dans Un pays qui se tient sage, nous les connaissons déjà pour une grande partie, pour ceux qui suivent un minimum les vidéos ayant émergé des cortèges chaque week-end, mais elles prennent un autre sens ici par l’approche salvatrice de l’analyse. Ce qui se montre particulièrement précieux dans notre société où les jugements hâtifs et raisonnements idiots sont martelés ça et là, en attendant le prochain sujet, pour appliquer les mêmes inepties. Ce qui concerne autant les commentaires de tout un chacun sur la toile qu’un travail journalistique bâclé, volontairement ou non, et qui conforte le pouvoir en place du bien-fondé de ses méthodes.

On pourra reprocher au documentaire une certaine brutalité face au traumatisme, comme en replaçant les manifestants blessés face à la vidéo où ils perdront un œil ou une main. Les témoignages réfléchis et touchants de ces personnes qui ont été mutilées en exerçant leur droit de manifester sont bien plus intéressants que cette confrontation avec l’horreur. D’ailleurs, il y a ce message fort d’un manifestant éborgné qui déclare ne pas en vouloir au policier qui l’a mutilé, la responsabilité incombe à des sphères qui regardent la rue depuis des tours bien gardées. En évitant d’être manichéen malgré des faits parfois indéfendables – ces manifestants tabassés au sol dans un fast food –, Dufresne désigne pour responsable un Etat qui ne permet aucun débat, qui n’admet aucune erreur. Le film montre que la police n’exerce plus aujourd’hui son rôle fondamental, mais qu’elle défend un Etat déconnecté du réel. Sur un point de vue politique, il nous est rappelé qu’une démocratie fonctionne sur la base de discordances, or, dans notre ploutocratie – impossible aujourd’hui de ne pas appliquer ce terme à l’Etat français –, exprimer son désaccord expose à une répression sans précédent de la part d’une police au rôle détourné. Celui ou celle qui sort du rang pour exprimer son mécontentement joue véritablement avec sa vie.

Un pays qui se tient sage aurait probablement gagné à éliminer quelques séquences peu commentées – comme l’adolescent blessé à la mâchoire alors qu’il ne participait même pas au mouvement – pour creuser plus en profondeur sur certains éléments. Il reste toutefois un document précieux qui rappelle l’importance capitale de filmer, mais que les images ont besoin d’une analyse, d’un commentaire détaillé, voire d’un débat pour gagner du sens et dépasser l’illustration pour défendre une position du côté des manifestants ou des forces de l’ordre. Cette œuvre amère, qui devrait tous nous révolter, nous rappelle aussi que nous perdons insidieusement au fil des mois les fondements de notre démocratie, loin d’être parmi les bonnes élèves d’Europe et même au-delà. Les dérives d’aujourd’hui peuvent devenir le terreau fertile de régimes politiques autoritaires et liberticides – à moins qu’il ne soit déjà trop tard ?

3.5 étoiles

 

Un pays qui se tient sage

Film français
Réalisateur : David Dufresne
Durée : 86 min
Genre : Documentaire
Date de sortie en France : 30 septembre 2020
Distributeur : Jour2Fête

 

Article rédigé par Dom

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