“Les Guignols” s’en vont mais il reste Pascal Praud, Jean-Marc Morandini et Cyril Hanouna

Tout va très bien dans l’empire Bolloré, affirment en chœur les mieux informés, ses propres salariés. “Les Guignols de l’info” supprimés ? Ils coûtaient beaucoup trop cher à Canal+. Cyril Hanouna beaucoup trop cher pour C8 ? Il serait encore plus coûteux de se priver de son talent.

Par Samuel Gontier

Publié le 08 juin 2018 à 19h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h21

Les Guignols quittent Canal », annonce Pascal Praud lundi dernier. « Les Guignols ont été un symbole de Canal, d’impertinence, de drôlerie… » Des valeurs chères au nouveau propriétaire, Vincent Bolloré. L’animateur de L’heure des pros fait preuve d’un grand sens de l’éthique, il indique se trouver en situation de conflit d’intérêts : « Bon, CNews appartient évidemment au groupe Canal. Y a beaucoup de gens qui sont impactés par ça, des gens qui vont arrêter de travailler. On peut avoir une pensée pour eux. » Mais on n’y peut rien : « Simplement, Les Guignols étaient à la fin… Comme quand le Bébête show s’est arrêté, ils n’avaient plus le même poids. » Ils sont donc morts de mort naturelle.

 

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« D’ailleurs, l’équipe historique, avec Bruno Gaccio, était partie. » « Les auteurs les plus acides étaient partis, renchérit Thierry Moreau, chroniqueur médias. C’est une émission qui a 30 ans ! 30 ans, c’est déjà beaucoup pour une émission. » Elle avait fait son temps. « On a beaucoup parlé du poids politique qu’elle a pu avoir notamment en 2002 avec “Mangez des pommes”. » Non, c’était en 1995. « Mais c’est vrai qu’au moment de la réforme, il y a quelques mois… » Non, il y a trois ans… « Quand ils sont passés en crypté, ils étaient beaucoup moins regardés. Ils étaient à 1,8 million à la grande époque. » Non, ils étaient 1,8 million en 2014, après la grande époque (où iles étaient parfois plus de 3 millions)… mais avant que Vincent Bolloré décide de s’en occuper. « Et là ils sont passés à 200 000 personnes et là, 100 000 sur les derniers mois. » Une misère. Vincent Bolloré allait bientôt être leur seul téléspectateur.

 

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Pour obtenir des infos plus fiables que celles de Thierry Moreau, je sais pouvoir compter sur une bien meilleure émission de décryptage des médias, Morandini Live, toujours sur Cnews. C’est à son chroniqueur, Matthieu Gérard, que je dois les mesures d’audience cités plus haut. Jean-Marc Morandini rappelle : « Ce programme avait failli disparaître il y a trois ans. » « En 2015, Les Guignols n’avaient dû leur survie qu’à une forte mobilisation du public, rappelle Matthieu Gérard sans préciser d’où provenait la menace de disparition. Même le président de la République avait pris position, disant que la caricature faisait partie intégrante du patrimoine français. » De la même manière que Vincent Bolloré fait partie du patrimoine breton.

 

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« Du coup », grâce à François Hollande, « l’émission était revenue avec une nouvelle version en cryptée et de nouveaux auteurs. La formule change à nouveau en septembre 2016, Les Guignols repassent en clair mais à 20h50. A partir de janvier 2017, l’émission est à nouveau diffusée à 19h50, son horaire historique, mais, en octobre de la même année, le programme est réduit, il passe de sept à quatre minutes. Depuis la rentrée, on le retrouvait après l’émission d’Yves Calvi, vers 20h30. Ça fait beaucoup de changements en à peine trois ans. » C’est vraiment pas de chance. « Ce sont ces changements qui ont perdu leur audience. » Quelle poisse ! « Effectivement, approuve Jean-Marc Morandini. Finalement, le souci aujourd’hui, c’est que le public ne s’y retrouve plus. L’émission coûte cher et peu de monde regarde. » Les Guignols était un gouffre financier.

 

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« Aujourd’hui, c’est évident, il y a une logique commerciale derrière. » Et pas la moindre logique éditoriale. « Plusieurs mesures avaient déjà été prises pour essayer de maintenir le programme à flots. Il y a eu une réduction drastique des coûts de production mais le programme continuait à coûter trop cher par rapport à ce qu’il rapportait. » Dommage, le recentrage de son humour sur le sexisme et le racisme a échoué. « Soyons assez honnêtes, cette saison, Les Guignols n’ont pas rapporté un centime à la chaîne. » Bravo, belle franchise ! Voilà un journaliste assez « honnête » pour révéler les boulets financiers que représentent ses collègues licenciés.

 

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Pascal Praud, lui, s’inquiète du moral de ses invités : « Jacques Séguéla, ça vous attriste, la fin des Guignols ? » « Bien sûr, ça m’attriste, mais le problème n’est pas là. Le problème est que Canal, quand il a été repris par Vincent Bolloré, perdait 400 millions par an. Et c’était pas possible. » D’un point vue économique. « Et l’émission qui coûtait le plus cher, c’était Les Guignols de l’info, y avait deux cents personnes pour huit minutes par jour cinq jours par semaine. » Quelle gabegie ! Il était urgent d’y mettre fin.

« Les auteurs étaient payés 35 000 euros par mois quand même », ajoute Thierry Moreau. Pascal Praud n’en revient pas : « 35 000 euros par mois ? » Pour des gauchistes comme Gaccio ? « C’était une estimation du Parisien en 2015. » Jacques Séguéla reprend : « Et donc, en manager qu’il est, Vincent Bolloré a supprimé l’émotion. » L’émission. En tout cas, c’est bien une décision managériale — ou commerciale —, et pas éditoriale. Soyons honnêtes.

 

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« Et d’ailleurs, cette année, pour la première fois, le groupe Canal ne perd plus 400 millions par an mais gagne 400 millions par an grâce à l’international qui s’est développé en Afrique et en Europe. » Mirifique ! Tout ça grâce au talent visionnaire de l’actionnaire… Voilà une excellente nouvelle, dix jours après la perte des droits de diffusion de la Ligue 1 (qui menace carrément l’existence de Canal+), la même semaine où les articles fleurissent sur la « mauvaise passe » du groupe Bolloré, où l’on apprend le colossal déficit d’Autolib’ (290 millions), où Vincent Bolloré perd son procès contre France 2 et Complément d’enquête qui avaient eu l’outrecuidance d’enquêter sur ses activités « à l’international », comme dit Jacques Séguéla.

Si ce dernier mériterait d’être embauché comme communicant de Bolloré, Elisabeth Levy pourrait lui servir de directrice des programmes. Alors que Pascal Praud s’égare dans la nostalgie, « Les Guignols, c’était drôle, c’était formidable… », la patronne de Causeur s’insurge : « Non, c’était pas formidable ! C’était l’humour le plus conformiste ! Ils tapaient toujours sur les mêmes. La preuve, c’est que tout le monde célébrait Les Guignols. Où est la subversion quand tout le monde est d’accord ?! » En fait, c’est en défenseur du pluralisme que Vincent Bolloré a sabordé Les Guignols.

 

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Les autres invités protestent, Pascal Praud cite des « réussites » : Virenque, Tapie, Chirac… Elisabeth Levy réplique : « Je me souviens de Strauss-Kahn présenté comme un satrape ! » Tout ça pour avoir troussé une soubrette… Il était temps que cesse le politiquement correct.

Le surlendemain, mercredi, c’est au tour de Cyril Hanouna de sortir les avirons pour nager au secours d’une autre pépite du groupe Bolloré, la chaîne C8. « On s’intéressera à un certain Hanouna qui plomberait les comptes de C8 », prévient l’animateur de Touche pas à mon poste, alors que sont révélées les pertes abyssales de la chaîne, 75 millions d’euros. Mais d’abord, Cyril Hanouna doit rafistoler une autre tuile tombée sur le coin de sa chaîne, la défection de sa star Julien Courbet, réquisitionné par M6 à la demande de son autre employeur, RTL, toutes deux filiales du même groupe.

 

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« Je vous le dis, c’est officiel, Valérie Benaïm reprendra C’est que de la télé l’année prochaine, annonce Cyril Hanouna. Elle sera là à la place de Julien Courbet. » Du coup, la promotion de la chroniqueuse de TPMP est à l’honneur de la rubrique « J’aime/J’aime pas ». « Vous connaissez son style inégalable. Regardez et vous allez nous dire si vous aimez ou si vous n’aimez pas. Soyez francs ! Dites la vérité ! » Soyez honnêtes, ne vous retenez pas de la critiquer en sa présence et devant votre employeur commun (Cyril Hanouna est propriétaire d’H20, la société qui produit TPMP et C’est que de la télé).

 

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Après la diffusion de brillantes interventions de Valérie Benaïm, Cyril Hanouna répète : « Alors, est-ce que vous aimez ou est-ce que vous n’aimez pas Valérie Benaïm qui prendra la place de Julien Courbet ? » Y a intérêt : « Ça a été validé par la chaîne donc tout le monde est d’accord. » Coïncidence, en plateau, sur onze votants, un seul affiche un « J’aime pas » : Gilles Verdez estime que la promue, vu son immense talent, « pourrait se battre pour autre chose qu’une émission à 18 heures ».

 

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« Jean-Luc Lemoine, t’aimes ? Dis la vérité, hein. » « Je dis la vérité. » La vérité ultime : « C’est la logique ultime de mettre Valérie, elle était déjà remplaçante de Julien Courbet. » En outre, « elle est compétente pour ça, elle est très à l’aise dans cet exercice ». « C’est exactement ça », approuve le patron. Et ses compétences, on sait d’où elle les tire : « Je suis une maman donc je me reconnais dans certaines méthodes de Super Nanny », confiait-elle, pour vanter la télé-réalité éducative un jour où elle ne demandait pas la clémence pour l’humour homophobe de Nicolas Canteloup.

 

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« Valérie, dites-nous la vérité, demande le taulier, est-ce que vous êtes contente ? » Sous la pression, son employée avoue : « Je suis aux anges. » Cyril Hanouna s’adresse aux autres chroniqueurs. « Est-ce que vous êtes déçus ? Est-ce qu’y en a qui auraient voulu le poste ? » Non, personne n’est déçu ni jaloux. Géraldine Maillet tient cependant à dire sa vérité : « Merveilleuse et sublime idée ! Merci Cyril Hanouna ! » Y a pas de quoi. Tout travail mérite salaire. « Mais au-delà de ça, je trouve que C8 manque de femmes à la tête de ses programmes et là enfin, Valérie, qui est une journaliste de renom et tout-terrain, va prendre C’est que de la télé. » Une émission de non moindre renom.

 

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« On va passer à l’enquête de Baba : Cyril Hanouna plombe-t-il les comptes de C8 ? Puisque hier un article de BFMBusiness… Ça l’air sérieux comme ça, mais non… » Une fake news de BFM ? « L’article évoquait les pertes de C8 qui seraient dues au contrat qu’on a signé avec eux. » Calomnies. En réalité, explique un sujet illustré de jeux de mots laids, « si les titres des articles laissent à penser que l’animateur fait perdre de l’argent, le corps du texte en dit tout autrement ». Zoom sur les « 60 millions » que rapporte TPMP pour un coût de « 18 millions ». Et rien sur la rentabilité de ses autres émissions ni sur le montant du royal contrat signé par H2O, qui vend ses programmes haut de gamme pour la modique somme de 50 millions d’euros annuels.

 

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La voix off conclut. « Quoiqu’il en soit, toutes les émissions produites par Cyril Hanouna vont continuer l’année prochaine. » Même si une dizaine ont disparu depuis deux ans. Le patron reprend : « Alors mes chéris, on est obligé d’en parler ce soir, vous savez qu’on parle de tout. » Pour dire toute la vérité. « On va revenir sur les faits. » Rien que les faits. Valérie Benaïm commence : « Dans l’article, on dit que les dépenses ont augmenté de 46 %, c’est-à-dire presque le double. » Non, le double, ce serait 100 %. Pour une journaliste tout-terrain de renom, c’est embêtant de ne pas savoir compter.

« Comment vous expliquez ça ? » « Il y a eu beaucoup de nouveautés, William à midi, les deux émissions de Thierry Ardisson. » Ce sont les autres, les creuseurs de déficit. « Nous, on a toujours le même volume horaire depuis cinq ans… » Oui mais entretemps la société de Cyril Hanouna a vu le montant de ses contrats multiplié par plus de deux (plus de 100 %, si Valérie Benaïm a suivi). « Et jamais on n’a fait une aussi belle année puisque que C’est que de la télé est rentable, TPMP ça fait gagner 60 millions alors que ça coûte 18 millions par an. Donc j’ai pas compris en fait. » Les journalistes de BFM ne sont pas sérieux.

 

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« Il paraît même que les recettes de C8, c’est 50 % grâce à TPMP !, s’émerveille Benjamin Castaldi. Donc je vois pas où est la polémique. » Elle est sur la perte de 2017 : 75 millions d’euros, à comparer aux 120 millions de coût de grille annoncés par Cyril Hanouna. Ce dernier livre de précieuses informations chiffrées sur les sanctions financières imposées par le CSA pour sanctionner l’homophobie et le sexisme de l’émission. Preuve que le trou dans la caisse est dû à d’injustes entrepreneurs de vertu.

Cyril Hanouna ne lui répond pas, il ne cite que les émissions qui seront reconduites, il psalmodie une nouvelle fois la liste de celles qui ont « cartonné » et conclut : « Ils ont écrit cet article, les journalistes, je sais pas où ils ont eu les infos… » Ils ont dû être rancardés par des envieux malintentionnés. « … Mais, la prochaine fois, qu’ils m’appellent directement et je leur donnerai toutes les infos. » Et toute la vérité.

 

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« Il y a d’autres émissions qui arrivent, précise Cyril Hanouna pour achever de convaincre les sceptiques de BFMTV. Il y a Avis de recherche avec Patrick Sabatier. » Ça fait envie. « Ça se passe très bien avec C8, on est hyper content. Ce qui est vrai, c’est qu’on a un contrat qui est important donc on essaie de faire travailler le maximum de monde. » La société H2O lutte au quotidien contre le chômage. « C’est comme Yann Barthès sur TMC qui a un très gros contrat. » Tiens, quand on parle de jaloux… « TPMP, ça coûte 80 000 euros par jour contre 110 000 par jour pour Quotidien. » « Qui fait moins d’audience », note quelqu’un. Et qui est de bien moindre qualité.

 

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« C’est fou de voir ce genre d’articles ! », s’ébaubit Cyril Hanouna. « Il faudrait inviter ses auteurs ! », lance quelqu’un. « C’est vrai, admet le boss, s’ils sont libres demain, ils peuvent venir pour la spéciale Fort Boyard, on les déguisera en Passe-Partout. » Bonne idée. Ça devrait les convaincre de rappliquer.

Pascal Praud, lui, se demandait lundi s’il devait se rendre à la cérémonie des Gérard de la télévision. En effet, seul rayon de soleil dans le sombre empire Bolloré, L’heure des pros a reçu cette semaine une prestigieuse distinction, le « Gérard de l’émission du coin où on débat entre couilles de savoir si y aurait quand même pas un problème avec les bonnes femmes et les arabes ».

 

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« Est-ce que vous trouvez que c’est une bonne chose ? », s’inquiète Pascal Praud. « Bien sûr, c’est une bonne chose parce que quand on caricature, c’est que l’on aime, le rassure Jacques Séguéla. Sinon, on ne caricature pas. On caricature ce que l’on aime. » « Vous croyez qu’ils nous aiment ? » « Bien sûr. Y a qu’à voir les audiences. » Et la haute tenue des débats.

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