Les meilleurs films de 2017

Voici un classement que j’ai failli ne pas publier. Début 2018, je m’apprêtais à rédiger mon habituel classement des meilleurs films de l’année passée. J’avais en main ma liste de films, là, toute prête, manquait plus qu’une dizaine de films à voir afin de ne pas laisser passer d’hypothétiques chefs-d’œuvre. J’étais sur le point de me lancer. Très bien. Mais ça « c’était avant… le drame » : le souvenir de mes visionnages, et partant mes impressions, mes jugements sur chacun des films, m’ont tout à coup paru lointains, comme si j’avais vu ces films il y a au moins trois ans, ayant quelque peu oublié l’idée que j’en avais eu. Avec ce risque de déformation des souvenirs, il devenait alors difficile de hiérarchiser avec justesse les quarante films qui m’ont le plus marqué au cours de cette fructueuse année 2017. Ainsi, plutôt que de bâtir un classement sur du sable, et pris par des nécessités liées à ma vie professionnelle, n’ayant aucune envie de me retaper quarante films à marche forcée, ce qui n’est pas mon genre, une barbarie à mes yeux, et bien j’ai préféré renoncer de crainte d’amplifier à tort certains jugements positifs, positifs mais sans plus, ou de sous-estimer de manière quasi criminelle des films qui s’avèrent être des chefs-d’œuvre. Finalement, au lieu de me résigner à une « année blanche », qui aurait quelque peu fait tache après les classements de 2015 et 2016, j’ai Continuer la lecture de Les meilleurs films de 2017

Two Lovers (2008) de James Gray

Voici un des meilleurs drames sentimentaux de cette dernière décennie, excellent film d’un des cinéastes américains les plus intéressants du moment, d’ailleurs tous ses films sont réussis, excepté The Yards (2000) qui est plutôt bon mais un poil en dessous. Ici, James Gray prend un virage à 180°, délaissant les histoires sombres et sanguinolentes sur fond de magouilles familiales pour mieux se tourner vers un thème où on ne l’attendait pas, utilisant un procédé scénaristique remontant à la nuit des temps, au risque de paraître éculé. En effet, quoi de mieux qu’un triangle amoureux pour exprimer la difficulté contemporaine à faire des choix sentimentaux, et partant, des choix de vie, même si le film est plutôt tourné vers un cas particulier (pour mieux aller vers l’universel ?), vers cet intimisme familial qu’affectionne James Gray de par ses origines personnelles et son goût pour les grands maîtres du Nouvel Hollywood, en particulier Coppola et sa trilogie du Parrain.

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Série noire (1979) d’Alain Corneau

Dès le générique le ton est donné : un film adapté d’un roman de la collection « Série noire » intitulé Des cliques et des cloaques (1967). Si l’on voulait décrire ce film en peu de mots, cette seule mention suffirait.

Voyez le programme : des histoires de pognon, des personnages dans la dèche, des taudis – partout – une salle de sport pour délinquants minables qui tentent de s’en sortir par des combines tout aussi minables. La pluie, la boue, et le froid achèvent le tableau, avec un temps à rentrer les épaules au fond de son trench. Une ambiance qui n’est pas sans rappeler celle des films de Jean-Pierre Melville, comme Le Cercle rouge (1970), avec ces cavales boueuses et hivernales au fin fond de la Bourgogne. Cette atmosphère, les dialogues de Perec, et un des meilleurs acteurs de sa génération pour les incarner. Tout concourait à faire de ce film l’un des plus marquants de la décennie 1970.

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Je vous salue, Marie (1984) de Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville

Dans mon précédent article, à propos du Redoutable (2017) de Michel Hazanavicius, on avait quitté Godard sur ses expérimentations artistico-militantes à tendances maoïstes au cours des années 1970. Ici, avec Je vous salue, Marie, on le retrouve en plein milieu des années 1980, décennie qui marqua son grand retour « dans le cinéma qui sort dans les salles », pour reprendre ses mots. Cette rupture avec le cinéma militant ne signifiait pas pour autant son éloignement des thématiques sociales car celles-ci ont continué d’irriguer son cinéma, sous d’autres formes, toujours avec cette idée de mettre au jour, de manière plus ou moins métaphorique, les tendances lourdes qui traversent nos sociétés modernes.

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Le Redoutable (2017) de Michel Hazanavicius

S’il y a bien une chose dont on peut être à peu près sûr à propos de ce film, c’est que Jean-Luc Godard n’ira sûrement pas le voir. Et même s’il le voyait, il ne l’aimerait pas. Ses interviews, en particulier celle qu’il a accordée à Patrick Cohen en 2014, témoignent de son exigence légendaire, allant même jusqu’à renier ses propres films, en particulier ceux que la plupart des gens considèrent comme ses meilleurs. Cette franchise un peu brutale, qui lui valut une brouille avec François Truffaut, dont il n’aimait pas les films, est parfaitement retranscrite à travers le jeu très convaincant de Louis Garrel, qui dut sacrifier sa belle crinière et adopter un petit zozotement afin de se rapprocher de cette voix si singulière, reconnaissable entre toutes, et assez attachante au final comme vous pourrez l’entendre dans deux vidéos plus bas.

En effet, pour incarner ce personnage il était difficile de trouver mieux que Louis Garrel, qui en est à son troisième rôle de soixante-huitard après Innocents – The Dreamers de Bernardo Bertolucci et Les Amants réguliers réalisé par son soixante-huitard de père, Philippe Garrel. Ce film n’a rien d’un biopic traditionnel, et de toute manière les grands réalisateurs de notre temps ont parfaitement compris que l’on ne pouvait plus faire de biopics chronologiques à l’ancienne, le genre que Hollywood produit à la pelle, il n’y a qu’à voir le Barbara de Mathieu Amalric qui, dans un style plus ou moins déstructuré, privilégie le poétique et l’envoûtant afin qu’une espèce de grâce se dégage de l’ensemble, plutôt que d’être un peu trop tatillon sur l’exactitude historique.

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Quelques bonnes scènes (04)

Le Fantôme de la liberté (1974) de Luis Buñuel

Pour commencer, une scène issue de l’un des derniers films de Buñuel. A cette époque le cinéaste enchaînait les films avec ce ton décalé et particulièrement corrosif que l’on retrouve dans cet extrait. Une fois de plus, c’est à une certaine bourgeoisie qu’il s’attaque, celle des années Pompidou-Giscard, en poussant jusqu’au ridicule ses petites manies, mais tout en parvenant, malgré tout, à rendre ses personnages intéressants et plus ou moins attachants. Pour exprimer toutes ces subtilités, les films du maître se devaient d’être servis par d’excellents acteurs. Il suffit de voir dans cet extrait à quel point Jean-Claude Brialy excelle avec sa tête des mauvais jours. Du reste, comme à son habitude, le cinéaste aime à piéger les spectateurs de la même manière qu’il piège ses personnages avec ces histoires quelque peu farfelues, d’un surréalisme parfaitement calibré : scène

Le Goût de la cerise (1997) d’Abbas Kiarostami

Un an après la mort du plus grand cinéaste iranien, il me semblait bon de revenir sur un de ses meilleurs films. Continuer la lecture de Quelques bonnes scènes (04)

Les meilleurs films de 2016

Je vais m’essayer pour la deuxième fois à l’exercice périlleux du classement, celui des films qui m’ont le plus marqué au cours de l’année 2016. Je vais m’attarder sur une trentaine de films (onze de plus par rapport à mon classement des meilleurs films de 2015) mais sans les classer de manière claire, je m’explique : étant donné la difficulté et le caractère arbitraire de cet exercice, les films dont je vais parler ne seront pas classés de la première à la dernière place, ce qui est impossible à faire à mes yeux. Mon classement suit une hiérarchisation souple, c’est-à-dire que les premiers films dont je vais parler sont probablement ceux qui m’ont le plus marqué, mais au fond chacun de ces films pourrait être classé, selon mes réévaluations et mon humeur du moment, cinq places plus haut ou cinq places plus bas. Les films dont je parle à la fin de l’article demeurent des bons films et, qui sait, peut-être que dans un an je considérerai, avec le recul, que certains mériteront de figurer un peu plus haut dans ce classement.

En 2016, les duos et les couples ont envahi les écrans. Les histoires d’amour ont été toujours aussi nombreuses au cours de cette année également  marquée  par des histoires mettant en scène le choc des caractères, et qui se dénouent de différentes manières, parfois dans un bain de sang. Il a aussi beaucoup été question des relations familiales, des liens entre générations, de l’adolescence aussi, avec de très bons récits d’apprentissage, de passage à l’âge adulte. A une échelle plus grande, on a pu voir des destins individuels mis en difficulté par leur propre communauté, qui tend à les exclure, à les marginaliser pour diverses raisons. Parfois la solidarité est carrément mise en péril, voire se rompt définitivement, ouvrant la voie à la guerre de tous contre tous, comme on a pu le voir dans quelques documentaires (moins nombreux comparé à l’année 2015, comme vous pourrez le constater dans mon précédent classement). Les personnages se trouvent alors en résistance par rapport à la marche actuelle du monde, à ses injonctions. Comment rester debout ? Comment ne pas devenir fou ? Comment ne pas faire preuve de brutalité, de cynisme, d’indifférence dans des milieux où ces valeurs sont érigées comme principes d’action ? Malgré tout, au milieu de cet océan de problèmes surgissent quelques bribes de sens, de beauté, ou bien des gestes héroïques ayant pour but de sauver ce qui peut encore l’être. Les déconvenues laissant place à de nouveaux espoirs, à une résilience salutaire. Continuer la lecture de Les meilleurs films de 2016

L’Enlèvement de Michel Houellebecq (2014) de Guillaume Nicloux

Septembre 2011. Une rumeur agite les médias. Michel Houellebecq aurait été enlevé. N’ayant donné aucun signe de vie depuis une semaine, certains vont même jusqu’à soupçonner Al-Qaïda. Or il n’en est rien. L’écrivain français parmi les plus vendus au monde est finalement réapparu, après un voyage au cours duquel il s’était passé de tout lien téléphonique et numérique. Un peu plus et une alerte enlèvement aurait été déclenchée. Ce fait véritable inspira Guillaume Nicloux au point d’en faire un film, avec l’écrivain dans le rôle-titre ! Celui-ci se révèle être un excellent acteur, doté d’un grand potentiel comique, chose confirmée par sa prestation dans Near Death Experience de Gustave Kervern et Benoît Delépine, film dont les thèmes sont très proches des romans de l’écrivain, à savoir culte de la performance, misère affective, dépression, suicide, … On y voit un Michel Houellebecq à la dérive, en décalage avec les exigences contemporaines, s’enfuyant seul dans la montagne avec la ferme intention d’en finir.

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L’arbre, le maire et la médiathèque (1993) d’Eric Rohmer

Pour clore cette présidentielle 2017, voici un film qui n’a absolument rien perdu de sa pertinence. Avec cette histoire de jeune maire provincial aux dents longues voulant bâtir une médiathèque en dépit des critiques de ses administrés, Eric Rohmer semble avoir pris le contrepied de tous ceux qui l’avaient qualifié de cinéaste bourgeois. En effet, chez Rohmer on était habitué à voir des personnages très CSP+, en vacances le plus souvent, en pleine oisiveté estivale, bavardant pendant des heures d’une manière toute philosophique, au plus grand plaisir du spectateur. Le huis clos estival et sentimental cède ici la place à un film plus politique, plus ouvert sur l’extérieur, avec un véritable regard sur la société du début des années 1990, ce qui est assez neuf de la part de Rohmer.

Le plus troublant est de constater, 25 ans plus tard, soit une génération, que ce film contenait en germe tous les problèmes actuels : désertification des campagnes, opposition de plus en plus forte entre celles-ci et les grandes villes, lien social qui se distend, brouillage (mais pas disparition) du clivage gauche/droite, machiavélisme élyséen, médias qui font et défont les réputations, libre-échange et mondialisation, les ratés de la décentralisation ou l’encore trop grande centralisation, c’est selon, ou bien les dérives en matière d’aménagement du territoire. Bref on ne peut pas s’empêcher de faire un parallèle avec les problématiques actuelles.

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Shoah (1985) de Claude Lanzmann

Pour décrire un phénomène sans précédent, il fallait un film qui le soit tout autant, du moins c’est ce que semble avoir été le parti pris de Claude Lanzmann quand il se lança dans cette aventure, dans la longue genèse de cet exceptionnel documentaire, diffusé en salles 12 ans après que le ministère israélien des Affaires étrangères lui en fit la commande, soit la durée du régime nazi, drôle de coïncidence, mais l’ironie s’arrête là car la suite n’a absolument rien d’amusant, le spectateur étant vite confronté à une vérité des plus crues, crue parce que décrite dans ses moindres détails.

Lanzmann fit le pari que des témoignages en diraient bien davantage que n’importe quelle image d’archives, d’ailleurs le film n’en comporte aucune, tout simplement parce qu’il n’y en a pas, du moins s’agissant des chambres à gaz, selon la volonté des nazis qui souhaitaient commettre ce que Lanzmann appelle un « crime parfait », un crime sans images, sans cadavres, comme si le peuple juif n’avait jamais existé, « vaporisé », pour reprendre le terme utilisé avec lucidité par Orwell dans 1984, afin de qualifier les disparitions forcées menées par un régime totalitaire, et qui s’effectuaient en deux temps : disparition physique puis mémorielle. Tout propos négationniste sur les chambres à gaz revient alors à épouser le discours des bourreaux et à devenir les idiots utiles de ces derniers, en parachevant leur « œuvre » a posteriori alors qu’ils n’en espéraient pas tant, au vu du zèle qui fut le leur pour effacer toute trace de l’extermination, jusqu’à broyer les os des victimes après leur crémation. D’où la pertinence du titre de l’œuvre pionnière de l’historien Raul Hilberg, interviewé dans le film : La Destruction des Juifs d’Europe (1961).

En ce qui concerne les images d’époque disponibles, à quoi bon les repasser alors que ça a déjà été très bien fait par d’autres, notamment par Alain Resnais avec son Nuit et Brouillard qui, dès le milieu des années 1950, troubla un climat politique davantage porté vers le refoulement et la valorisation excessive de la Résistance que vers une vérité brute, dans toute sa complexité.

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