Critique : La Plateforme

Thriller high concept, La Plateforme nous plonge dans une « fosse » où la nourriture est distribuée verticalement, étage par étage, jusqu’à ne rien laisser pour les moins bien lotis. Cette métaphore anémique de notre société, sous haute influence cinématographique, manque de servir un propos novateur et cohérent.

Buffet froid

Simili prison verticale, la Fosse est le cadre unique dans lequel se déroule La Plateforme, où chaque étage de ces cellules de béton de 6 à 7 mètres de hauteur de plafond, sont absolument identiques : un lit spartiate pour chacun des deux co-détenus, pour un lavabo et des WC partagés. Chaque jour, une plate-forme richement fournie en mets variés, descend du 1er étage au dernier, au travers d’une ouverture centrale et vertigineuse reliant tous les niveaux. S’il est facile de manger sur la première trentaine d’étages, certains doivent se contenter des restes tandis que les autres verront le verre et l’argenterie défiler sans rien leur offrir. Attention, il est impossible de conserver des provisions, sinon, la température de l’étage devient infernale, qu’il s’agisse d’une chaleur effroyable que d’un froid polaire. Le nombre exact d’étages reste une inconnue, même si selon Trimagasi (Zorion Eguileor), le détenu rodé que découvre Goreng (Ivan Massagué), notre protagoniste qui s’est volontairement inscrit pour passer six mois ici afin de vaincre son addiction au tabac et trouver le temps pour lire, il y en aurait 200. Que l’on soit ici par sa propre volonté ou de force, chacun a pu sélectionner un objet pour l’accompagner dans cette pénitence mortelle. Pour Trimagasi, c’est un couteau de cuisine très particulier, tandis que Goreng a opté pour un chef d’œuvre de Cervantes, Don Quichotte – le malheureux aurait pu opter pour une liseuse qui lui aurait permis d’étudier en profondeur Cervantes, et pourquoi pas tous les volumes de A la recherche du temps perdu de Proust ! D’emblée, cet univers qui emprunte à Cube – pour le cadre, l’univers qui touche à la science-fiction –, Saw –  la violence, le sadisme et l’aspect énigmatique –  et Snowpiercer – le propos social, en réduisant la société à un milieu fermé et simplifié, avec une tendance fortement dystopique –, expose de vives failles narratives. Il y a déjà le refus de la métaphore absolue et détachée du réel par les quelques scènes en dehors de La Fosse, celle concernant l’admission de Goreng. En proposant un cadre réel et tangible, La Plateforme ouvre alors la porte à toutes les bévues narratives possibles et imaginables – et le film y plonge dedans joyeusement.

Si l’on débute au niveau 48 avec nos deux camarades, ces derniers se réveilleront parfois plus haut, parfois plus bas. Alors que Trimagasi profite des biens qui descendent, Goreng réfléchit à un système plus juste de répartition des ressources pour que tout le monde en profite. Seulement, pour qu’un tel système fonctionne, il faut que tous les plus aisés s’accordent à une nutrition plus juste, parcimonieuse. Alors que Bong Joon-ho se portait brillamment sur l’horizontalité de la représentation des classes sociales dans Snowpiercer, La Plateforme se contente d’une verticalité déjà en place dans nos sociétés capitalistes. Tout le propos sur la solidarité et la répartition, le cher ruissellement grâce aux premiers des cordées pour reprendre les mots de notre gouvernement, n’a donc rien de novateur, surtout lorsqu’il est abordé dans un tel cadre. Les personnages changent de niveau selon certains événements, qui n’ont apparemment aucun lien avec leurs actions quotidiennes, et cela se déroule au cours de leur sommeil – impliquant que, telles des poules, tout le monde voit le marchand de sable passer au même instant. Limité par ses propres principes, La Plateforme sort alors la carte de la violence exubérante tout en esquissant une énigme qui pourrait être la clé de ce lieu : Galder Gaztelu-Urrutia déroule alors tout un programme sidérant de vacuité où le film peine à trouver une dimension névrotique. Avec une ultime scène ridicule, on ne pourra que conseiller de se tourner vers les ingrédients originaux derrière ce film – Snowpiercer, Saw et Cube pour les distraits – plutôt que de s’infliger un tel produit ultra-transformé, certes, doté d’une direction artistique soignée. Indigeste, tel un buffet froid comme la glace.

2 étoiles

 

La Plateforme

Film espagnol
Réalisateur : Galder Gaztelu-Urrutia
Avec : Ivan Massagué, Zorion Eguileor, Antonia San Juan, Emilio Buale, Alexandra Masangkay
Titre original : El hoyo
Scénario de : David Desola, Pedro Rivero
Durée : 94 min
Genre : Thriller, Science-fiction, Horreur
Date de sortie en France : 20 mars 2020
Distributeur : Netflix

 

Article rédigé par Dom

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