Critique : Drunk

Le cinéaste danois Thomas Vinterberg revient à notre époque contemporaine avec Mads Mikkelsen. Quelque part entre l’expérience sociologique avec des résidus du dogme95 et la crise existentielle de quinquagénaires par le prisme de la bouteille, Drunk embrasse la vie dans tous ses états. Une œuvre profonde et touchante, qui aurait pu marquer le Festival de Cannes 2020 puisque ce long métrage fait partie de la Sélection officielle.

Etats d’ivresse

Il y a quelque chose de légèrement brisé chez Martin (Mads Mikkelsen), ce professeur d’histoire qui semble résigné et hors-jeu : face à ses méthodes et son air absent, ses propres élèves craignent une note défavorable pour le diplôme de fin d’année. Même sa vie de famille semble enlisée. Mais sous l’impulsion d’un ami, enseignant dans le même lycée, Martin et deux autres compères vont plonger dans une expérience sociologique pour éprouver l’affirmation d’un psychologue norvégien : l’homme mènerait une vie bien meilleure en conservant un degré d’alcool à hauteur de 0,5 g/L de sang tout au long de la journée. Soit la limite légale pour prendre le volant en France ou au Danemark, l’équivalent de deux verres de vin pour se désinhiber, rien d’autre. L’expérience débute brillamment pour Martin : il retrouve de la spontanéité, de l’énergie, aborde son cours différemment, avec de l’humour, stimulant ses élèves. Et bien qu’il soit délicat de boire sur son lieu de travail, les quatre hommes décident d’aller plus loin, de boire plus et d’analyser les conséquences. Déjà Drunk commence à montrer l’influence multiple de l’alcool sur différents individus : si Martin tient toujours la barre, ce n’est plus tout à fait le cas pour Tommy (Thomas Bo Larsen) et son cours de sport. Evidemment, Thomas Vinterberg poussera le curseur jusqu’à l’extrême, non pas sur le lieu du travail mais dans la sphère privée, et l’ivresse frappera ces quatre protagonistes avec plus ou moins de véhémence.

Si Drunk se montre parfois drôle par le burlesque qu’il introduit dans des situations où la sobriété serait de mise, c’est bel et bien sur un registre dramatique que se déploie le film de Thomas Vinterberg. Le film s’ouvre sur un jeu d’alcool de lycéens qui courent avec des caisses de bière. Il y a cette innocence juvénile arrivant à son terme, cet abandon parfois nécessaire, mais qui souligne paradoxalement déjà un abus dans la consommation d’alcool. Un vrai problème de société, avec pourtant, historiquement, de grandes figures qui descendaient des bouteilles sans retenue, comme le rappelle Martin à ses élèves – il cite notamment Winston Churchill et Ernest Hemingway. La boisson, une affaire aussi d’Etat lorsque dans un segment aussi bref qu’hilarant, Vinterberg balaie quelques interventions visiblement affectées par la boisson de chefs de gouvernement comme Boris Eltsine, Bill Clinton ou encore Nicolas Sarkozy. En regardant au sommet des Etats, l’histoire, la jeunesse et sous la loupe, ces professeurs incertains du fil à suivre à ce moment de leur vie, Drunk nous interroge quant à notre propre rapport à l’alcool sous l’angle de la désinhibition. D’autant plus que l’expérience de ces quatre hommes se montre aussi nourrissante que destructrice.

A Cannes en 2012, Mads Mikkelsen avait remporté la Prix d’interprétation masculine dans La Chasse de Thomas Vinterberg. Pour cette seconde collaboration, il compose encore une fois un personnage profondément touchant, parfait dans cette alternance entre flegme et abandon à l’ivresse, cet état qui conduit au pire comme à de véritables moments de grâce. Centré sur des figures masculines et montrant les épouses et enfants dans les dommages collatéraux de l’expérience, Drunk aurait pu s’élever un peu plus en incluant des protagonistes féminins dans sa danse. Il n’en reste pas moins un excellent long métrage, dont l’étude de cas évite tout jugement définitif, et ce, en restant au plus près des paradoxes traversés par cette troupe d’enseignants.

4 étoiles

 

Drunk

Film danois
Réalisateur : Thomas Vinterberg
Avec : Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Lars Ranthe, Magnus Millang, Maria Bonnevie, Helene Reingaard Neumann
Titre original : Druk
Scénario de : Tobias Lindholm, Thomas Vinterberg
Durée : 117 min
Genre : Drame
Date de sortie en France : 14 octobre 2020
Distributeur : Haut et Court

 

Article rédigé par Dom

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2 commentaires

  1. Beaucoup aimé, notamment et surtout parce que le propos n’est ni démago ni manichéen, une gageure sur un tel sujet…

  2. Effectivement, en France il y a le potentiel pour faire une comédie bien lourde à partir du même point de départ !

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