L’Heure de la sortie

L’école des damnés

Nicolas Winter
Juste un mot
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4 min readJan 15, 2019

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Étrange que les tentatives de films français dit “de genre” soient aussi peu suivies par le public et les distributeurs. Outre la capacité de ces métrages à surprendre et à s’aventurer hors des sentiers battus, ils permettent aussi de laisser libre court aux envies et ambitions des jeunes réalisateurs. On citera ainsi Calvaire de Fabrice du Welz ou Haute Tension d’Alexandre Aja à titre d’exemple. Moins horrifique mais tout aussi surprenant, L’Heure de la sortie s’appuie sur un scénario étrange à mi-chemin entre Take Shelter et Le Village des Damnés pour rendre inconfortable un quotidien pourtant banal. Le second film de Sébastien Marnier (après Irréprochable en 2016) a de sérieux arguments à faire valoir.

Sous le soleil de Satan

Tout commence par le suicide inexpliqué d’un professeur en plein milieu de son cours de français. Pierre Hoffman, prof suppléant, arrive donc au prestigieux collège privé Saint Joseph pour prendre la relève avant l’épreuve cruciale du Brevet. Il doit dès lors composer avec une classe « expérimentale », la 3ème 1, qui compte plusieurs élèves surdoués et qui, surtout, a assisté au suicide sus-cité. Dès son premiers cours, Pierre se rend compte que les élèves sont hostiles à son arrivée et que leur arrogance n’a d’égale que leur malveillance. Sous un soleil de plomb, Sébastien Marnier installe une ambiance pesante et anxiogène qui s’inspire clairement de l’oeuvre de Kafka (ouvertement citée par un Pierre Hoffman l’étudiant pour les besoins de sa thèse) tout en lorgnant vers le registre apocalyptique (avec une citation notamment de James Graham Ballard et son roman Sécheresse). De façon habile et insidieuse, L’Heure de la Sortie glisse dans une espèce de paranoïa teintée de fantastique, d’horreur et de folie sans pourtant jamais dépasser la ligne rouge du réel…ou presque. Tout ici est question de suggestion et de petits pas de côté, dans une école trop propre sur elle pour être honnête et à propos d’un groupe de gamins bien trop intelligents pour leur propre bien…

Lucidité enfantine

Ce qui met réellement mal à l’aise dans L’Heure de la Sortie, c’est la confrontation entre un prof très cartésien et terre à terre, Pierre Hoffman, magistralement interprété par un Laurent Lafitte impeccable de bout en bout, et un groupe d’élèves surdoués qui complotent dans leur coin et prennent tout le monde de haut. Le décalage entre leur jeune âge et leur façon de parler mais aussi entre la vision de Pierre et celles de ses collègues sur la situation ne cessent de titiller le spectateur. Quelque chose se prépare…mais quoi ? Grâce à une mise en scène inspirée et protéiforme qui flirte parfois avec l’horreur pure et dure, Sébastien Marnier plonge dans une pensée obsédante de notre société actuelle : celle de l’apocalypse. Le long-métrage s’interroge ainsi sur l’avenir de nos enfants et, comment, d’une certaine façon, l’omniprésence d’un climat désespérant et désespéré devraient les conduire à l’irréparable. Non seulement, L’Heure de la Sortie peut s’appuyer sur une excellente mise en scène et de redoutables jeunes acteurs et actrices, mais il bénéficie également d’une atmosphère sonore tout à fait remarquable signée par le groupe Zombie Zombie et qui contribue grandement à l’ambiance dérangeante du métrage. La tension constante qui règne dans ce thriller atypique ferait d’ailleurs presque oublié sa longueur excessive.

L’Heure de la Sortie surprend. D’abord par son ambition sur le plan de la mise en scène mais aussi, et surtout, pour la tenue de son postulat paranoïaque de base et l’intelligence de sa narration. Porté par un Laurent Lafitte véritablement bluffant et un groupe de jeunes acteurs/actrices surprenant, le long-métrage de Sébastien Marnier mérite toute votre attention.

Note : 8/10

Meilleure scène : Le manoir la nuit

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