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EntretienClimat

Aux États-Unis, les chercheurs protègent les données climatiques contre les menaces de l’équipe Trump

L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche inquiète les scientifiques travaillant sur le changement climatique. Depuis des semaines, universitaires et informaticiens s’unissent pour sauvegarder les données contenues sur les sites web d’agences fédérales. Pour les protéger de l’administration Trump, qui pourrait vouloir les détruire.

-  Actualisation - Samedi 21 janvier 2017 - Le site américain Motherboard a observé qu’à 12 h (heure de la côte est des États-Unis), à la minute où Donald Trump est entré en fonction, la page consacrée au réchauffement climatique sur le site de la Maison-Blanche avait disparu. Une minute plus tôt, elle était encore disponible.

-  Source : Courrier International, et Motherboard


Bethany Wiggin est directrice du Penn EHLab (Penn Program in Environmental Humanities) de l’Université de Pennsylvanie. Son laboratoire est à l’origine du programme public et collaboratif #DataRefuge.

Bethany Wiggin.

Reporterre — Avec l’arrivée de l’administration Trump, en quoi les données informatiques fédérales sur le changement climatique sont-elles menacées ?

Bethany Wiggin — La première chose à comprendre, c’est que tous les matériaux disponibles sur Internet sont vulnérables par nature. Les liens hypertextes vers des études scientifiques peuvent facilement être brisés. C’est un phénomène très documenté. Cette instabilité naturelle est renforcée dans un environnement politique où les climatosceptiques s’assurent que le changement climatique est présenté comme un sujet ouvert au débat.

Scott Pruitt, qui est en train d’être auditionné au Congrès [pour diriger l’Agence états-unienne de protection de l’environnement, l’EPA], ne croit pas au changement climatique. Cet ex-procureur général de l’Oklahoma est connu pour avoir défendu les industriels gaziers et pétroliers adeptes de la fracturation hydraulique, au lieu d’avoir réglementé cette pratique qui cause des niveaux sans précédent de microtremblements de terre. Donc, nous avons toutes les chances de croire que les données contenues sur le site web de l’EPA seront encore plus vulnérables.

Mais l’EPA est juste un exemple. Il y a de multiples agences publiques et ministères dont les données sur le climat sont menacées. En décembre, l’équipe de transition de Trump voulait que le ministre sortant de l’Énergie lui fournisse une liste de noms des personnes ayant travaillé sur l’Accord de Paris. Heureusement, il a dit non et a même autorisé les membres de son ministère à utiliser les réseaux sociaux comme ils le souhaitent, sans être punis.

Nous sommes aussi très inquiets à cause des propos du futur chef de la Nasa [Agence spatiale des Etats-Unis]. Il a affirmé que la mission Terre de cette agence, qui rassemble des données sur le climat, était un exemple de science politisée. Il souhaite rediriger les fonds vers des programmes de recherche spatiale.

Scott Pruitt, en 2016. Donald Trump a choisi l’ex-procureur général de l’Oklahoma pour diriger l’Agence de protection de l’environnement (EPA) états-unienne.


Qu’est-ce que le programme #Datarefuge et en quoi peut-il remédier au problème ?

#Datarefuge repose sur un principe très simple de gestion des données, qu’on appelle Lockss, Lots Of Copies Keep Stuff Safe  de nombreuses copies conservent les affaires en sécurité »]. L’idée est de copier les documents appartenant aux agences fédérales environnementales, ou les outils éducatifs sur le climat. Et de garder si bien ces copies que les chercheurs pourront continuer à utiliser les données et à citer les documents [par exemple par des liens hypertextes dans un article]. On va donc réaliser ces copies multiples selon un protocole prédéfini et les disperser dans différents serveurs sécurisés : c’est là que la dimension de refuge prend tout son sens. 


Qui participe au projet et comment s’organise-t-il ?

De nombreux libraires, archivistes et informaticiens mènent ce projet. Ils ont travaillé jour et nuit pour mettre en place un manuel de bonnes pratiques à disposition de nos bénévoles. Une bonne partie de ce protocole a été développé lors d’une série d’événements « data rescue », notamment à Philadelphie le week-end dernier. Nous avons désormais de nombreuses personnes du milieu universitaire, technologique, bibliothécaire ou encore du secteur privé qui travaillent de manière très coordonnée à affiner ces bonnes pratiques et à les diffuser auprès de nos partenaires sur d’autres événements « data rescue » aux États-Unis. C’est très bien que nous ayons accompli autant avant l’investiture de Donald Trump, mais il reste beaucoup à faire ensuite.

Par ailleurs, nous travaillons sur des projets à plus long terme, afin que les citoyens comprennent pourquoi ces données sur le climat sont si importantes. L’idée est de sensibiliser les journalistes, les politiques et les communautés locales aux questions suivantes : qui utilise ces données ? à quoi servent-elles ? Quand on parle d’inondations dans un quartier, ça n’a rien de politique, il s’agit de la santé et du bien-être des gens.

Désormais, notre mission est de documenter et de surveiller les changements sur les sites web des agences fédérales. Nous publierons un rapport après 100 jours [de pouvoir de l’équipe Trump] où nous désignerons les programmes auxquels on aura coupé les vivres et qui ne pourront plus entretenir leur page web.


Depuis le début du projet, combien de données avez-vous réussi à sauvegarder ?

Je peux déjà vous dire ce que l’on a réussi à sauver à Philadelphie. Un de nos partenaires, The Internet Archive, travaille sur un projet baptisé « The End of Term Harvest », qui consiste à archiver les sites web fédéraux lors des périodes de transition présidentielle. La transition actuelle est la troisième sur laquelle ils travaillent. Rien que ce week-end, nous les avons aidés à archiver 6.952 documents. Et, en matière de big data, nous avons téléchargé plus d’un teraoctet et demi de données. Si l’on ajoute ce que nos partenaires ont récolté de leur côté, les quantités sont bien plus importantes. Et le processus est toujours en cours au moment où l’on parle.


Avez-vous peur d’éventuelles répercussions ?

L’université de Pennsylvanie est privée, donc nous sommes plutôt confiants. Nous pensons que c’est le rôle fondamental d’une université que de préserver les données et les preuves nécessaires au travail des chercheurs. Nous ne nous arrêterons pas. 

  • Propos recueillis par Yona Helaoua, à Washington
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