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Vaccins, smic, élections européennes : les intox de Marine Le Pen dans « L’Emission politique »

Invitée de France 2, la dirigeante du RN a formulé plusieurs contre-vérités.

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Publié le 15 mars 2019 à 08h50, modifié le 15 mars 2019 à 08h50

Temps de Lecture 8 min.

Marine Le Pen a livré plusieurs contre-vérités au cours de « L’Emission politique » jeudi 14 mars.

« Eh bien, moi, je vous dis que oui ! » Ce cri du cœur de Marine Le Pen au cours de « L’Emission politique », jeudi 14 mars, illustre bien le bras de fer qu’elle a engagé ces dernières semaines avec les médias qui rectifient certaines de ses affirmations. Un rapport aux faits tout personnel qui l’a amenée à formuler plusieurs contre-vérités lors de cette intervention et bien souvent à les maintenir, malgré les démentis. Retour sur cinq séquences.

1. Un mensonge pour justifier son opposition aux onze vaccins obligatoires

Ce qu’elle a dit :

Marine Le Pen a été interrogée en début d’émission sur son opposition au nouveau calendrier vaccinal pour les enfants mis en place en 2018. Désormais onze vaccins sont obligatoires, contre trois par le passé. Le journaliste Thomas Sotto lui a demandé si elle maintenait sa position sur le sujet alors que la rougeole a causé son premier décès en France de l’année 2019 mercredi 13 mars. Voici la réponse de la députée :

« La rougeole était déjà un vaccin qui était obligatoire avant. […] La rougeole a toujours fait partie des vaccins obligatoires pour les enfants. »

Elle a, par ailleurs, réaffirmé qu’il était, selon elle, « contestable » d’avoir mis en place « un pack de onze vaccins obligatoires ».

POURQUOI C’EST FAUX

Dans l’ancien calendrier, trois vaccins étaient obligatoires pour la petite enfance : ceux contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (DTP). Huit autres vaccins étaient alors simplement recommandés : ceux contre la coqueluche, le virus de l’hépatite B, la bactérie Haemophilus influenzae, le pneumocoque, le méningocoque C et les virus des oreillons, de la rubéole et de la rougeole, donc.

La justification de Marine Le Pen est donc mensongère : le vaccin contre la rougeole n’était pas un vaccin obligatoire par le passé et l’est devenu sur décision de la majorité actuelle. Or, c’était notamment à cause de la recrudescence de ce virus, qui peut être mortel et entraîner de graves complications (notamment en cas d’encéphalite), que le gouvernement a décidé de rendre obligatoire les huit vaccins qui n’étaient, auparavant, que recommandés.

En s’opposant aux onze vaccins obligatoires, Marine Le Pen s’était donc explicitement opposée à ce que le vaccin contre la rougeole devienne obligatoire. Le fait qu’elle refuse de s’en expliquer aujourd’hui semble donc traduire un certain embarras quant à cette prise de position passée.

2. Une grosse confusion sur le smic

Ce qu’elle a dit

Face à la ministre chargée des affaires européennes, Nathalie Loiseau, Marine Le Pen a critiqué l’idée de mettre en place un salaire minimum européen défendu par Emmanuel Macron :

« Vous avez dit vouloir un smic européen. La Bulgarie, 4,40 euros. La France, je crois qu’on est à 36 euros, me semble-t-il. Donc comment est-ce qu’on arrive à faire un smic européen, si ce n’est avec un moins-disant ? »

Nathalie Loiseau s’est alors étonnée par le montant de « 36 euros », demandant à la députée RN à « quelle durée » de travail il serait censé correspondre. « Non, mais ça ne change rien Madame Loiseau, 4,40 euros en Bulgarie. Je crois que la Roumanie, c’est 5,50 euros », lui a rétorqué Marine Le Pen.

POURQUOI C’EST TROMPEUR

Le smic horaire en France est de 10,03 euros brut depuis janvier 2019. Les 36 euros évoqués par Marine Le Pen semblent donc sortir de nulle part à première vue, et plusieurs responsables de la majorité se sont empressés de tacler la députée sur Twitter, comme le porte-parole du gouvernement sur Twitter :

Sauf qu’en réalité Marine Le Pen a cité une statistique bien réelle : il s’agit du coût horaire moyen de la main-d’œuvre en Europe évalué par Eurostat, un calcul qui englobe le salaire et les cotisations à la charge des employeurs. En 2016, cet indicateur chiffrait l’heure de travail à 4,40 euros en Bulgarie, 5,50 euros en Roumanie et 35,60 euros pour la France, soit à peu de chose près les trois chiffres cités par la députée RN.

Un salaire minimum européen ne ferait pas baisser le smic français

On ne peut donc pas dire que cette dernière a inventé un chiffre. En revanche, elle l’utilise à mauvais escient puisqu’elle l’assimile au salaire minimum, ce qu’il n’est pas – c’est un salaire moyen.

Et au-delà de cela, il est assez trompeur de prétendre qu’instaurer un salaire minimum européen reviendrait à faire baisser le salaire minimum français, comme Marine Le Pen l’a sous-entendu à plusieurs reprises au cours de cet échange. La hiérarchie des normes nationales et européennes fonctionne, en réalité, à l’avantage des salariés (la norme européenne ne prévaut que lorsqu’elle est mieux disante). C’est notamment le cas pour la durée légale maximum du travail hebdomadaire, qui est de 35 heures en France et 48 heures en Europe. Pour les salariés français, c’est bien la première règle qui s’applique.

3. Toujours le même mensonge sur le traité d’Aix-la-Chapelle

Ce qu’elle a dit :

Marine Le Pen a été interrogée par le youtubeur Hugo Travers sur ses déclarations sur le traité d’Aix-la-Chapelle. La députée a, en effet, affirmé à plusieurs reprises que le texte prévoyait le partage du siège permanent de la France au Conseil de sécurité de l’ONU avec l’Allemagne. Or, ce n’est pas le cas.

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Mais Marine Le Pen a balayé l’objection d’un revers de main. Selon elle, le traité « sous-entend » ce partage du siège de la France. Pis, il l’imposerait, car il « impose de partager des positions » communes avec l’Allemagne et l’Europe.

POURQUOI C’EST FAUX

Le traité d’Aix-la-Chapelle est explicite : pas question de modifier quoi que ce soit en ce qui concerne le siège permanent de la France au Conseil de sécurité de l’ONU. Il propose, en revanche, que la France y conserve son siège permanent que l’Allemagne en décroche un également, et cette option est présentée dans l’article 8 du texte comme « une priorité de la diplomatie franco-allemande ».

Marine Le Pen a donc eu tort de répéter ces dernières semaines que ce traité envisagerait que la France partage son siège. Pour justifier ce mensonge, la dirigeante tente désormais de s’appuyer sur un autre article du texte (consultable ici), le cinquième, qui dit ceci :

« Les deux Etats […] établiront des échanges au sein de leurs représentations permanentes auprès des Nations unies à New York, en particulier entre leurs équipes du Conseil de sécurité, leurs représentations permanentes auprès de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord et leurs représentations permanentes auprès de l’Union européenne, ainsi qu’entre les organismes des deux Etats chargés de coordonner l’action européenne. »

Contrairement à ce qu’affirme Marine Le Pen, il n’est pas question ici d’« imposer » des positions communes aux deux Etats, mais simplement qu’ils s’accordent pour une meilleure coopération. On peut tout à fait contester cette ambition, mais elle est, en réalité, bien loin de l’affirmation initiale de la députée RN.

4. Et toujours la même intox sur les supposés privilèges des migrants

Ce qu’elle a dit :

Marine Le Pen a également été interpellée sur ses propos récents, où elle affirmait qu’un « migrant fraîchement débarqué » en France pourrait « toucher davantage qu’un retraité modeste ». Là encore, l’ancienne candidate à la présidentielle refuse de concéder qu’il pourrait s’agir d’un mensonge, malgré les nombreux démentis publiés à ce sujet ces dernières semaines.

La dirigeante a expliqué additionner trois choses : « le logement » à hauteur de 480 euros, « la gratuité des soins » à hauteur de 250 euros et « l’allocation » de 204 euros, pour un total de « 934 euros par mois » en faveur des migrants selon, qui serait supérieur à l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), qui est de 868 euros par mois.

POURQUOI C’EST FAUX

Cette argumentation de Marine Le Pen pose problème à plusieurs niveaux. D’abord parce qu’elle prend le cas particulier des demandeurs d’asile pour illustrer la réalité des « migrants », alors qu’ils ne représentent qu’une minorité des étrangers arrivant en France.

Ensuite, parce qu’elle minore la protection accordée aux retraités modestes. Une personne âgée seule qui ne bénéficie que du niveau de revenus de l’ASPA (868 euros par mois) serait, selon toute vraisemblance, éligible à l’aide personnalisée au logement (APL) à hauteur d’environ 250 euros par mois selon les situations. Suffisant pour largement dépasser les 934 euros par mois prétendument accordés aux demandeurs d’asile.

Mais surtout, le calcul de Marine Le Pen est trompeur parce qu’il additionne une prestation sociale monétaire, l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), avec d’autres formes de protection sociale : la prise en charge des soins et, dans certains cas, le fait de bénéficier d’un hébergement d’urgence ou en centre d’accueil spécialisé. Ces deux derniers points ont certes un coût pour l’Etat, mais on ne peut les confondre avec une aide monétaire – personne ne prétend, par exemple, comptabiliser le coût d’un séjour à l’hôpital dans le revenu d’un salarié.

Enfin, il faut garder à l’esprit que le fait d’être hébergé dans un centre d’accueil est une situation qui est difficilement comparable avec le fait d’être locataire ou propriétaire d’un logement traditionnel. Beaucoup de demandeurs d’asile doivent, par exemple, partager leur chambre et/ou des pièces de vie avec d’autres personnes ou familles et, dans tous les cas, quitter ces logements une fois que leur dossier a été étudié.

5. Un faux argument sur les chiffres du chômage

Ce qu’elle a dit :

« Il y a six millions de Français qui sont au chômage aujourd’hui », a affirmé Marine Le Pen. Le taux de chômage « est descendu sous les 9 % », a alors fait valoir Nathalie Loiseau. « Ce n’est pas vrai », a rétorqué l’ancienne candidate à la présidentielle. « Pôle emploi dit l’inverse de l’Insee […], vous prenez les chiffres quand ça vous arrange. »

POURQUOI C’EST FAUX

Marine Le Pen entretient ici plusieurs confusions. D’abord sur le recul du chômage observé ces derniers mois. Au quatrième trimestre 2018, le taux de chômage était de 8,8 % en France (hors Mayotte), son plus bas niveau depuis 2009, selon l’Insee. La baisse reste relative, de l’ordre de 0,3 point sur l’année.

Il est vrai qu’il existe une autre statistique sur le chômage, celle de Pôle emploi, avec une méthodologie différente. Mais contrairement à ce que dit la dirigeante du RN, elle fait également apparaître un recul du chômage : le nombre de demandeurs d’emploi en catégorie A, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas d’activité, a diminué de l’ordre de 1,4 % sur un an en France.

Dans les deux cas, la baisse reste modérée, mais bien réelle. Marine Le Pen a donc tort d’opposer les deux sources sur la période récente. Il est arrivé par le passé que l’Insee et Pôle emploi fassent apparaître des tendances divergentes, mais ce n’est pas le cas ici.

Enfin, le chiffre en lui-même de « six millions de chômeurs » avancés par Marine Le Pen est trompeur. En réalité, on comptait 3,7 millions de personnes sans activité (catégorie A selon Pôle emploi en France) environ fin 2018. Pour arriver aux six millions évoqués par la députée, il faut ajouter les catégories B et C de Pôle emploi (pour un total de 5,9 millions précisément). Mais les 2,2 millions de demandeurs d’emploi supplémentaires intégrés à ce calcul ont tout de même une activité, mais à temps partiel : ce ne sont pas des chômeurs.

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