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Des « hublots » dans la panse de vaches pour étudier leur digestion

L’association L214 diffuse des images de bovins équipés de canules en plastique permettant un accès direct à leur système digestif, provenant d’un centre de recherche privé sur la nutrition animale.

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Publié le 20 juin 2019 à 02h58, modifié le 20 juin 2019 à 09h11

Temps de Lecture 5 min.

Il faut avoir l’estomac bien accroché pour visionner ces images. Dans un bâtiment fermé, six vaches, chacune dans un enclos, avec sur leur flanc… un hublot en plastique d’une quinzaine de centimètres Un technicien vient ouvrir l’équipement avec une clé, effectue un prélèvement, puis met tout son poids pour refermer le clapet. La manipulation est répétée à intervalles réguliers. Nous sommes à Saint-Symphorien, dans la Sarthe, dans une station expérimentale de l’entreprise d’alimentation animale Sanders, filiale du groupe agroalimentaire Avril (Matines, Lesieur, Puget…).

Ces images de vaches porteuses de canules, aussi appelées vaches fistulées, tournées en février et mai, ont été obtenues par l’association L214. Les canules, qui permettent un accès direct à la panse des bovins, servent à observer et à étudier leur digestion. Une pratique peu connue du grand public, mais ancienne. Dans les archives de l’Institut national de l’audiovisuel, un documentaire datant de 1970 décrit ces technologies tout en poésie : « Les fistules sont un livre ouvert sur les mystères de la genèse de nos plats favoris. »

En France aujourd’hui, quelques dizaines de vaches tout au plus sont concernées. Une trentaine d’animaux sont ainsi appareillés par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), deux fois moins qu’il y a dix ans, selon Jean-Baptiste Coulon, président du centre de Theix, près de Clermont-Ferrand.

Avec quatre poches distinctes d’estomac, parmi lesquelles le rumen fonctionne comme une cuve de fermentation, les vaches ont un fonctionnement digestif particulièrement complexe. « Ces recherches servent plusieurs objectifs, explique M. Coulon : tout d’abord, optimiser l’apport alimentaire des animaux ; limiter les problèmes sanitaires, par exemple les troubles liés au fonctionnement du rumen ; améliorer la qualité des produits, en maîtrisant les matières grasses du lait, qui dépendent de la façon dont sont dégradés les aliments dans la panse ; et enfin, étudier comment limiter les émissions de méthane. »

D’autres laboratoires de recherche dans le monde recourent aux bovins fistulés, en Suisse, au Canada ou aux Etats-Unis. La particularité de l’enquête de L214 est de montrer l’usage de « vaches à hublot » par un centre de recherche privé, dont le propriétaire, Sanders, fournit 26 000 élevages en alimentation animale. Contactée, la maison mère, Avril, a précisé que ces expériences sont soumises à l’approbation d’un comité d’éthique et que « l’objectif est de remplacer d’ici à 2025 l’essentiel des tests sur animaux par des méthodes alternatives ».

Des canules posées à vie

L’INRA, qui assure ne pas fournir d’animaux à des centres privés, travaille notamment à développer d’autres techniques, comme des modélisations, des rumens artificiels ou des capteurs avalés dans le tube digestif animal. Mais pour l’heure, selon Jean-Baptiste Coulon, ces technologies ne permettent pas de se passer complètement de l’observation directe du rumen permise par les canules.

« Les canules sont impressionnantes vu de l’extérieur, mais pour nous vétérinaires, c’est très fréquent d’utiliser cette technique pour traiter des vaches qui ont des problèmes digestifs, détaille Bérénice Senez, vétérinaire auprès de bovins à Lamastre (Ardèche). On place, sous anesthésie locale, un trocart, pour permettre aux gaz de s’échapper et ainsi soulager l’animal. » Ces interventions curatives, sur des diamètres de 2 à 3 cm, sont temporaires et la vache cicatrise généralement en quelques jours.

En expérimentation scientifique, en revanche, les canules sont posées à vie. Difficile de dire si les vaches souffrent de la pratique. L’intervention chirurgicale en elle-même nécessite la prise d’antalgiques et d’antidouleurs pendant plusieurs jours. Ensuite, une fois la plaie cicatrisée, y a-t-il douleur physique ?

Pour l’association L214, cela relève en tout cas d’une « mutilation ». « Ces pratiques sont symptomatiques de comment on traite les animaux et de la course à la performance, estime Sébastien Arsac, responsable des enquêtes pour L214. On considère les vaches comme des rumens sur pattes. » L’association a annoncé son intention de porter plainte auprès du procureur de la République du Mans, en contestant notamment le « caractère strictement nécessaire » des expérimentations menées par Sanders, et demande l’interdiction de ces recherches, privées et publiques.

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