« Triple Frontière », la bonne surprise de Netflix

Ce projet sauvé in extremis par la plateforme, du réalisateur de « A Most Violent Year », confirme le potentiel artistique du géant de la SVoD en matière de films.

Par

« Triple Frontière », de J. C. Chandor.

« Triple Frontière », de J. C. Chandor.

© Netflix

Temps de lecture : 4 min

Après les fictions Narcos, El Chapo et Pablo Escobar, mais aussi les docu-séries Barons de la drogue et Dans l'univers des Narcos, il manquait à Netflix un vrai film maison pour compléter son armoire à stupéfiants. C'est désormais chose faite avec Triple Frontière, étonnante plongée du cinéaste J. C. Chandor dans un contexte nettement plus macho et buriné que ses plus feutrés Margin Call, All is Lost et AMost Violent Year. Signé Mark Boal, scénariste attitré de Kathryn Bigelow depuis Démineurs, le script suit le coup de poker à haut risque de Santiago « Pope » Garcia (Oscar Isaac), un mercenaire militaire missionné par une agence gouvernementale pour taquiner les cartels d'Amérique latine. Lorsqu'une informatrice lui révèle la géolocalisation précise du lieu secret, en pleine jungle, où le baron Gabriel Martin Lorea (Reynaldo Gallegos) planque un magot évalué à 75 millions de dollars, Pope décide de tenter le tout pour le tout. Il recontacte ses quatre anciens camarades des forces spéciales (Ben Affleck, Charlie Hunnam, Garrett Hedlund, Pedro Pascal) pour l'aider à préparer le braquage du siècle dans la zone dite de la « triple frontière », au confluent du Paraguay, de l'Argentine et du Brésil. Faisant du cambriolage une affaire personnelle contre Lorea, Pope a aussi pour objectif d'exécuter ce dernier.

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Ex-projet du studio Paramount dont Kathryn Bigelow devait justement assurer la mise en scène en 2011, après Démineurs, Triple Frontière n'a cessé de traîner sur les étagères pour finalement désintéresser la réalisatrice, remplacée en 2015 par Chandor. Après que plusieurs stars se furent potentiellement succédé à l'affiche (Tom Hanks, Johnny Depp, Will Smith, Mahershala Ali…), ce film aux allures de patate chaude pour Paramount fut abandonné par le studio en avril 2017, un mois avant le début du tournage. Une aubaine pour Netflix, qui sauta sur les droits dans la foulée. Tourné à 100 % dans le giron du leader de la SVoD, Triple Frontière intègre à coup sûr le dessus du panier du catalogue de la plateforme. On ne lui décernera pas forcément la palme de l'originalité, du moins en apparence. Dès son ouverture, un gros plan sur Oscar Isaac dans un hélicoptère, en route pour une intervention au son tonitruant du « For Whom The Bell Tolls » de Metallica (titre de circonstance...), on songe au prologue de Predator et on a compris les intentions : Netflix veut de l'action et de la chasse aux narcos, le réalisateur va lui en servir à la louche.

Ben Affleck, incarnation du loser hollywoodien

Plusieurs plans, thématiques ou ambiances en évoquent d'autres, de Zero Dark Thirty à Scarface, de L'Agence tous risques à La Horde sauvage, avec un zeste de Sorcerer, mais ces rappels ne sont jamais envahissants. Triple Frontière a établi les siennes en délimitant un film singulier, qui appartient définitivement à son auteur. Cadrant majestueusement une nature sauvage (filmée entre Hawaï et la Colombie), J. C. Chandor offre à son employeur un savoir-faire visuel et une patte bienvenus qui, enfin, tranchent avec le style pauvre et conventionnel de tant de productions Netflix. Les fusillades ont de la gueule, les plans larges de vols en hélico régalent nos mirettes et, surtout, Chandor, également crédité comme scénariste au générique, a su créer un groupe d'hommes friables auxquels le spectateur s'attache assez rapidement.

Incarnation même du loser hollywoodien, Ben Affleck (qui démissionna un temps du projet, pour finalement y revenir) joue sans mal l'ex-cador du M16 reconverti à grand-peine dans la vie civile en médiocre agent immobilier, père divorcé d'une ado indifférente. D'abord réticent, son personnage acceptera finalement l'offre de son vieux pote Pope, forcément attiré par la perspective d'une vie meilleure grâce aux narco-dollars. Oscar Isaac et Affleck se taillent à l'évidence la part du lion dans le film, un peu au détriment des autres, même si Charlie Hunnam impose un charisme et une noblesse impeccables dans le rôle de William Miller, le membre le plus pragmatique et posé du groupe. Dans le prologue, son discours de capitaine en retraite, adressé à de jeunes soldats de retour du front, illustre un propos intéressant de Triple Frontière sur les cruelles désillusions potentiellement rencontrées par les militaires tentés par le privé.

Sans vraiment atteindre la subtilité de ses précédentes études de caractère, J. C. Chandor parvient tout de même à esquisser assez de failles et de mélancolie parmi les quatre vétérans recrutés par Pope pour donner un sens et un enjeu à leurs décisions. L'excellence du jeu des comédiens fait le reste. À mi-chemin des 120 minutes de Triple Frontière, le film de casse bascule vers le « survival », quand plus rien ne se passe comme prévu pour le groupe des cinq, en pleine fuite à travers la jungle coursé par une armée de narcos enragés. Hormis une toute petite poignée de baisses de rythme, Triple Frontière orchestre alors d'authentiques moments de tension, comme lorsque Pope et sa bande se crashent dans une vallée occupée par des villageois trafiquants. Le cinéaste installe aussi, forcément, ces inévitables joutes verbales où, à l'heure où la mort les cerne, l'amitié et la fidélité de chacun sont mises à rude épreuve. La folle équipée de ces hommes bien vite dépassés par leur projet aura forcément un prix, exposé dans un épilogue en forme de cruelle ironie du sort. Metallica revient pour boucler la boucle, avec « Orion », titre instrumental gorgé de puissance et d'amertume, à l'image d'un film qui, s'il ne révolutionnera pas cette nouvelle ère du cinéma que Netflix bâtit sous nos yeux, aura sans aucun doute changé notre regard sur le potentiel artistique de l'ex-loueur de DVD devenu studio d'envergure mondiale. Une autre histoire de frontières.

Triple Frontière, de J.C. Chandor. Disponible à partir du mercredi 13 mars sur Netflix.

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Commentaire (1)

  • moa69380

    Bien ficelé, ce film, en effet.
    A la fois classique par son fil directeur (des vétérans qui veulent se "refaire") et original par sa tonalité et son centrage sur des "gueules" de cinéma déjà connues.
    Pas de vallées entières qui explosent, mais des fatalités sur les plans qui foirent et les remords qui resurgissent.

    Personnellement j'ai bien aimé. J'ai même pensé à une suite !