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Propagande prorusse sur Alep : qui est cette «journaliste indépendante» qui cartonne sur le Web ?

La vidéo d'une journaliste soi-disant «indépendante» accusant de mensonges les médias occidentaux sur la Syrie est devenue virale. Son discours ne fait que répéter la propagande prorusse et pro-Damas.
par Pauline Moullot
publié le 15 décembre 2016 à 18h41

C'est une vidéo censée «démonter en deux minutes la rhétorique des médias traditionnels sur la Syrie». Partagée par le site prorusse RT News en français le 13 décembre, elle a été vue plus de 400 000 fois. Et reprise par des sites prorusses de la fachosphère comme «le Salon beige», «Egalité et Réconciliation» ou le site complotiste «Réseau international». La version sous-titrée en allemand par RT a été vue près de 600 000 fois, et l'une des versions publiées sur Facebook plus de 2 millions de fois.

On y voit une femme présentée comme une journaliste indépendante canadienne répondre à un confrère norvégien sur les «mensonges» des médias «mainstream» et leur agenda sur la Syrie. En fond, le logo des Nations unies. Ce qui laisse croire que la conférence de presse à laquelle participe cette «journaliste» est organisée par l'ONU. Elle y déroule tout le discours traditionnel de la propagande prorégime sur le conflit en Syrie : il n'y a pas de journalistes ni d'ONG internationales sur place et leurs seules sources viendraient d'activistes (voire de «terroristes») (il existe pourtant de nombreuses sources qui permettent de rendre compte de ce qui se passe sur le terrain, comme l'explique Arrêt sur images), les Casques blancs (qui ont été pressentis pour recevoir le nobel de la Paix) seraient inconnus à Alep, etc., etc. Comment sait-elle tout ça ? Elle affirme s'être rendue plusieurs fois en Syrie, Alep compris, et avoir recueilli des témoignages d'habitants qui soutiennent le régime syrien et ne seraient jamais interrogés par les médias. Dernier argument : la population soutiendrait massivement Al-Assad, en témoignent les résultats des élections de 2014 (organisées dans les zones contrôlées par Damas et qualifiées de «non-élection» par Washington et de «farce» par Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères).

Dans ces deux minutes de vidéo, la soi-disant journaliste ne révèle en fait rien de nouveau. C'est un extrait d'une conférence de presse de près d'une heure, où ces mêmes arguments ont été répétés inlassablement par tous les participants, qui dénoncent en chœur «le rôle des médias dans ce projet impérialiste». Ce qui fait son succès, c'est qu'Eva Bartlett, la journaliste, répond à un autre journaliste, représentant de ces médias «mainstream» et «propagandistes». Kristoffer Ronneberg est le correspondant aux Etats-Unis du journal norvégien Aftenposten.

Par ailleurs, la conférence s'étant tenue aux Nations unies, cela lui donnerait une certaine légitimité. Ce n'est absolument pas le cas. L'événement n'a pas été organisé par l'ONU mais par la Mission permanente de la république syrienne aux Nations unies, l'équivalent de son ambassade qui, à ce titre, a le droit d'utiliser les salles de presse de l'ONU sans aucun contrôle de l'institution internationale. C'est donc le régime syrien et une organisation appelée Hands off Syria, qui se présente comme étant contre l'interventionnisme en Syrie, qui sont à l'origine de l'événement. Kristoffer Ronneberg s'y est rendu car l'ambassadeur de Syrie à l'ONU était attendu (il n'était finalement pas présent). Le journaliste n'avait jamais entendu parler des autres participants et a maintenant l'impression d'être devenu, à son insu et à son grand regret, «une petite pièce dans une grande guerre de propagande».

Eva Bartlett, qui n'a pas répondu aux questions de Libération, se présente comme une «journaliste indépendante». Mais ses publications révèlent le profil d'une activiste pro-régime syrien qui écrit régulièrement sur «les mensonges occidentaux», que «l'ONU étouffe les crimes de guerre», et appelle à «déconstruire le récit occidental» ou encore affirme que «les médias occidentaux ignorent la réalité». Ses écrits sont publiés sur Russia Today, un site prorusse financé par Moscou, le site conspirationniste qui se donne des airs de think tank Global Research ou l'American Herald Tribune, site lui aussi ouvertement prorusse qui joue sur la confusion avec l'International Herald Tribune.

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