L'abbé Pierre s'égare dans le révisionnisme. Invité hier de la Licra, le fondateur d'Emmaüs a mis en doute l'ampleur de la Shoah.

par François DEVINAT et François Wenz-Dumas
publié le 25 avril 1996 à 3h41

Tout en protestant de son «antinégationnisme viscéral», l'abbé

Pierre peine à se sortir du bourbier où il s'est mis en soutenant le livre de Roger Garaudy (les Mythes fondateurs de la politique israélienne), poursuivi par le Mrap pour négation de crimes contre l'humanité. Salué par Robert Faurisson, grand bradeur de chambres à gaz, le fondateur d'Emmaüs a semblé s'enferrer un peu plus mercredi en appelant à un débat public sur le «révisionnisme», avant d'aller s'expliquer devant la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme), dont il est membre. Et où il a persisté à mettre en doute l'ampleur de la Shoah.

«Plutôt que de se perdre en polémique de presse hâtive, n'est-il pas urgent de faire se rencontrer et débattre [...] les chercheurs qui divergent dans leurs conclusions?», s'est-il interrogé dans un communiqué. Caution implicite à ceux qui doutent de la réalité du génocide et qui élèvent les «révisionnistes» au rang d'historiens sérieux. L'abbé Pierre y a ajouté l'argument faurissonien de l'Histoire occultée pour des raisons «inavouables»: «S'attacher à interdire la recherche sur les pires crimes historiques, n'est-ce pas prendre le grand risque de voir la jeunesse se demander ce que certain auraient à cacher?», s'est-il demandé. «L'histoire, pas plus que les autres sciences, ne peut partir d'a priori intouchables», a-t-il estimé, tout en réaffirmant qu'il considère «les négativismes et révisionnismes» comme des «tromperies intellectuelles et morales qu'il faut à tout prix combattre.»

Le tollé provoqué par cette affaire continue à mettre dans l'embarras les proches et les admirateurs du chiffonnier d'Emmaüs. Dans une longue déclaration, Mgr Gaillot s'est dit «consterné et peiné de trouver sous la plume du fondateur d'Emmaüs une si forte caution donnée à des propos à caractère négationniste». Et l'évêque virtuel de Partenia d'ajouter: «Je ne cherche pas d'excuses: une longue amitié avec Roger Garaudy, une erreur d'appréciation, l'âge... Non, l'affaire est trop importante pour qu'on n'en mesure pas les conséquences dans l'opinion. L'immense popularité de l'abbé Pierre risque de créer un trouble dans beaucoup d'esprits [...]. Il s'agit bien ici d'un court-circuit entre, d'une part, ce que représente celui dont les interventions défendent avec beaucoup de courage les exclus et, d'autre part, les pires excès dont se nourrissent les lepénistes. Il n'est pas possible de tenir ensemble des positions qui prennent le parti des pauvres et celles qui favorisent le négationnisme. Les négationnistes sont des néonazis.»

Mgr Gaillot invitait in fine l'abbé à démentir quelque soutien que ce soit «à toutes ces infamies». C'était aussi le souhait ardent de la Licra, dont fait partie l'abbé Pierre depuis vingt ans comme membre du comité d'honneur. Réuni hier soir, le comité exécutif de la Ligue, qui incarne le «lobby juif» selon le livre de Garaudy, a entendu l'abbé après cette apostrophe de Pierre Aidenbaum, président de la Licra: «Nous ne pouvons croire que vous vous rangiez aux côtés des Garaudy, Faurisson et autres faussaires de l'Histoire!»

L'abbé Pierre a mêlé acte de contrition et protestation de bonne foi: «Qu'on ne me dise pas que j'ai apporté mon soutien aux thèses de Garaudy. Je n'ai pas lu le livre. J'en suis coupable, mais je n'ai pas la force. Je suis vieux. Je ne me dérobe pas puisque je suis là, alors que l'ensemble de la presse, depuis que ma lettre (à Garaudy) a été rendue publique, m'a traité de salaud [...]. Sur aucun point je ne soutiens les thèses de Garaudy, mais j'ai confiance en l'homme. J'ai confiance que si on lui apporte des arguments, il dira: Je me suis trompé...»

L'abbé a demandé à nouveau un colloque rassemblant «des personnes qui ont des opinions différentes» sur l'Holocauste. Avant de faire siffler les oreilles de ses amis qui lui demandaient s'il avait des doutes sur la réalité de la Shoah: «Aucun doute sur l'existence des camps de concentration. Mais il semble qu'il y ait pu avoir des excès en généralisant le fonctionnement des chambres à gaz dans tous les camps... C'est du détail.» «Le peu de choses que j'ai lues dans le livre de Garaudy, a-t-il conclu, c'est qu'il dit que le mot de solution finale ne se trouvait pas dans les documents signés par Hitler.» Le comité exécutif de la Licra restait partagé entre le désir d'absolution vis-à-vis d'un homme symbole qu'elle répugne à exclure, et la consternation.

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