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Violences contre les migrants : on cherche toujours les preuves dans le documentaire de Yann Moix
Dans ce documentaire de Yann Moix, les images ne mentent pas. Elles ne disent rien.

Violences contre les migrants : on cherche toujours les preuves dans le documentaire de Yann Moix

Jungle

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En janvier, Yann Moix avait interpellé le président de la République avec son emphase habituelle, le traitant de "criminel", l'accusant de piloter "un protocole de la bavure" contre les sans-papiers à Calais. Mais dans son documentaire pour Arte, les images promises pour alimenter ce procès sont absentes.

Souvenons-nous, ce n’est pas si loin le 21 janvier 2018 : Yann Moix, polémiste, philosophe, saltimbanque chaque samedi soir sur France 2, et aussi documentariste, accusait, dans une tribune publiée par Libération le président Macron d’avoir « instauré un protocole de la bavure » à Calais : « J’affirme, M. le Président, que des fonctionnaires de la République française frappent, gazent, caillassent, briment, humilient des adolescents, des jeunes femmes et des jeunes hommes dans la détresse et le dénuement. Je l’ai vu et je l’ai filmé. J’affirme, M. le Président, que des exilés non seulement innocents, mais inoffensifs, subissent sur notre territoire des atteintes aux droits fondamentaux de la personne. Je l’ai vu et je l’ai filmé. »

"J'affirme que des fonctionnaires de la République frappent, gazent, caillassent, briment, humilient... Je l'ai vu et je l'ai filmé."

La diatribe était d’une extrême violence, vis-à-vis du président de la République qui, non content d’être un « criminel » serait aussi un « lâche », mais aussi contre les forces de police, accusées de se livrer à des « actes de barbarie » contre les migrants de Calais, avec, tenons-nous bien, comparaison avec les exactions commises pendant la guerre d’Algérie. La reductio at bigeardum (du général Bigeard, commandant un régiment de parachutistes pendant la bataille d’Alger en 1956…)remplace la reductio ad hitlerum dansla panoplie des polémistes à bout d’argument !

Le problème de Yann Moix, c’était que tout le monde était au courant avant lui de ce qu’il révélait de la situation de Calais. Marianne, et pas seulement Marianne, avait ainsi consacré en juillet 2015 un dossier au caractère insupportable du sort des migrants et des Calaisiens, tous victimes de l’inepte « traité du Touquet » qui confie aux forces de police tricolores le soin de garder la frontière britannique.

Alors Moix a parlé fort, faute de parler neuf. Plus fort que tous les autres journalistes qui s’étaient succédé à Calais. Il a alors donné rendez-vous à la diffusion de son film Re-Calais qu’Arte a programmé pour ce samedi 9 juin à 18h30 (et déjà disponible en ligne), promettant d'y apporter les preuves en images.

La caméra de Moix n'est jamais là où elle aurait dû être

Le problème c’est que ces preuves, le téléspectateur les cherchera en vain dans les 50 minutes que dure le documentaire. Pour dire les choses : si on voit Yann Moix à profusion (c’est la mode de se mettre en scène soi-même davantage que le sujet, et on n’en devient pas Claude Lanzmann pour autant), consoler des sans-papiers pleurant sous l’effet de gaz lacrymogène, on ne voit pas de scène de violence. Car la caméra de Moix n’est jamais là où elle aurait dû être : avec les migrants lorsqu’ils sont effectivement maltraités par des policiers qui utilisent des bombes à gaz (ce que l’on sait par un rapport de l’inspection du ministère de l’Intérieur, pas par Moix) et après. Avec les migrants et les passeurs lorsqu’ils attaquent en masse les parkings où stationnent les camions en partance pour l’Angleterre ; avec les migrants lorsque certains s’en prennent aux forces de police (images montrées sur le service public) ; avec les passeurs lorsqu’ils passent… en procès (le mot même de passeur n’est pas prononcé, comme si les migrants étaient arrivés là par l’opération du saint-esprit) ; avec les clans ethniques lorsqu’explosent des violences aiguisées par la concurrence pour les bonnes places à la soupe populaire ou pour les passages outre-Manche - des vraies violences où l’on échange des coups de couteaux ; avec les migrants qui acceptent de rejoindre les centres d’hébergement de la République, puis d’entrer dans la démarche de demande d’asile (éventualité que Moix n’évoque jamais, y compris lorsqu’il converse dans un anglais de 6ème avec des Erythréens ou des Afghans qui sont automatiquement acceptés par l’OFPRA)…

Un dernier exemple : au tout début, il évoque des « persécutions contre des enfants ». On frémit à cette seule évocation. Mais de bambins on ne verra aucun, sauf métaphoriquement par la présence de jouets abandonnés dans les campements de fortune.

Les images ne mentent pas, elles ne disent rien

« J’ai les images », répétait-il pour attaquer Macron dans Libé, et le préfet du Pas-de-Calais dans les colonnes que Marianne lui avait ouvertes. Force est de constater que les images ne mentent même pas, elles ne disent rien. Dans le documentaire de Moix, il n’y a donc de preuve de rien.

Reste à comprendre comment on peut, pour servir une bonne cause, se laisser submerger par l’émotion, jusqu’à réaliser un film qui dessert complètement les intentions de départ, en piétinant les règles du métier au nom de l’indignation du citoyen devant un scandale d’Etat. C’est à Yann Moix de s’expliquer.

Car ce scandale, existe bien, mais n’est pas le fruit d’une barbarie policière ou d’un plan d’extermination de l’Elysée. On le comprend lorsqu’une association d’aide aux migrants évoque les sans-papiers morts dans le Calaisis: « 16 octobre, Nasrah, écrasé par un train de marchandise d’Eurotunnel ; 14 octobre : Nahaul percutée par une voiture sur l’A16 ; 29 septembre : Omar, Irakien, écrasé par des palettes dans un camion ; 24 septembre : Adam, Soudanais de 22 ans, mort sous une navette de fret d’Eurotunnel. 4 juillet, Samir décédé une heure après sa naissance lorsque sa maman est tombée du camion encore enceinte… » On arrête-là cette terrible litanie. La barbarie, la vraie, elle est là. Cela dure 3 minutes. A la fin. Dommage.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne