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Pas écolos, chers à imprimer et peut-être pas légaux... le casse-tête des bulletins en papier
Pour les élections européennes 2019, le bulletin de vote doit être imprimé en papier de 70g/m2.
David Himbert / Hans Lucas

Pas écolos, chers à imprimer et peut-être pas légaux... le casse-tête des bulletins en papier

Européennes

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Les centaines de millions de bulletins de vote imprimés pour les élections européennes de ce dimanche 26 mai représentent un poste de dépense et une facture écologique importante pour les listes candidates, dont la plupart ne seront pas remboursées. Certaines demandent donc à leurs électeurs d'imprimer eux-mêmes leur bulletin, non sans risque...

Le 3 mai, date limite de dépôt des candidatures pour les élections européennes, Jean-Christophe Lagarde, tête de liste de l'UDI, alertait sur Twitter : « 33 listes (aujourd'hui 34, ndlr). Près de 80 tonnes de papier par liste. C'est plus de 2.600 tonnes pour les européennes 2019 ! Il est temps de changer d'ère et de passer au vote électronique ». Cet appel, que l'élu centriste promettait de traduire en proposition de loi pour « en finir avec ce gaspillage », est passé inaperçu. Comme si le papier était encore l'unique véhicule de l'expression politique. Le volume ici calculé (80 tonnes) correspond à l'impression théorique, pour chaque citoyen inscrit sur les listes électorales, de deux bulletins de vote et d'une circulaire présentant le programme de la liste candidate, ainsi que de 150.000 affiches.

Une addition salée pour les partis politiques. C'est en effet à eux que revient la charge d'imprimer ces bulletins de vote. Le coût des impressions est ensuite remboursé par l'Etat... à la condition que l'on ait recueilli 3% des suffrages exprimés. Autant dire que beaucoup de partis risquent de ne jamais revoir la couleur de leur argent puisque, selon les derniers sondages, Lutte Ouvrière, Alliance Jaune, Générations.s, ainsi qu'une vingtaine d'autres listes moins connues, plafonnent sous ce seuil. Celles qui sont censées dépasser les 3% fournissent quant elles pas loin de cent millions de bulletins !

Le bulletin papier, une question de statut

C’est le cas de l'UDI, plein d'optimisme bien que les sondages positionne la liste en-dessous du seuil fatidique. « On imprime le maximum car on ne peut pas faire l'impasse de cette propagande, vu la difficulté d'accès aux médias, estime-t-on au sein du parti. S'en passer diminuerait nos chances d'obtenir les 3% ». Fournir ce quota de bulletins et de circulaires, même si l'on s'en indigne, c'est aussi une question de statut pour un parti doté de soixante parlementaires. Ne pas imprimer la totale signifierait « faire une campagne à moitié », ajoute ainsi un proche de Jean-Christophe Lagarde. Idem au Parti communiste : « L'impression des bulletins et des formulaires demeure une priorité », souligne-t-on à la direction du parti qui revendique encore 80.000 adhérents.

L'Union populaire républicaine (UPR) aurait de son côté dépassé les 35.000, ce qui permet au mouvement de François Asselineau d'investir une somme importante dans l'imprimerie, en se contentant toutefois d'un bulletin par électeur. « Nous ne fournirons que les bureaux de vote, pour économiser le coût de celui envoyé à domicile », nous explique un de ses responsables. La douloureuse montera néanmoins à 700.000 euros, soit la moitié du budget de campagne du parti. Avec un surcoût dû à une nouvelle exigence imposée pour les européennes 2019 : imprimer au format A4 sur un papier de 70 grammes par mètre carré. Auparavant, une marge de manœuvre était possible entre 60 et 80, mais on a connu des difficultés de mise sous pli et cette unification devrait permettre, selon le ministère de l'Intérieur, « une meilleure mécanisation du process ».

"Comme si les élections étaient seulement organisées pour les partis ayant les moyens de fournir les bulletins..."

Une mécanisation, mais aussi un alourdissement de la note.. . « Passer de 60 à 70 grammes provoque une augmentation du tarif de plus de 50.000 euros, déplore-t-on à l'UPR. C'est une façon de pénaliser les petits partis ». De plus, « le 70g n'est pas disponible pour les particuliers », signale-t-on au Mouvement pour l'initiative citoyenne. « On a choisi un format inaccessible en magasin, comme si les élections étaient seulement organisées pour les partis ayant les moyens de fournir les bulletins », renchérit un candidat de la Liste pour la décroissance, qui n'en proposera donc pas, pour des raisons autant écologiques qu'économiques.

Des votes invalidés ?

Dans ces conditions, beaucoup de listes sans moyens appellent leurs électeurs à imprimer eux-mêmes leur bulletin de vote. Mais prenez garde si vous le faites : à défaut de grammage adapté, les productions maison non conformes pourraient être refusées par les bureaux de vote ! La validité de ces bulletins artisanaux dépendra en effet de l'appréciation du président de chaque bureau de vote. Lequel pourra les déclarer nuls en cas « de différence manifeste de format ou de grammage », comme le mentionne une circulaire du ministère de l'Intérieur du 18 avril.

« Il y a de fortes chances que le nôtre soit refusé car ne pas être en 70 grammes se voit, souffle notre décroissant. La commission de propagande a d'ailleurs immédiatement remarqué que nos bulletins n'avaient pas le bon grammage, sans avoir besoin de les peser ». Un passage en commission que des listes n'ont d'ailleurs pas attendu avant de lancer le processus d'impression. Car la commission n'a commencé à recevoir les propositions de documents que le 6 mai, soit une semaine seulement avant la date limite de livraison des bulletins aux préfectures. « Il est impossible de produire autant en si peu de temps et on a donc dû prendre le risque de lancer l'impression sans validation », souligne un dirigeant communiste, qui conclut : « On dirait que l'on durcit les contraintes pour nous décourager et aller vers la numérisation ». Or, même si dans certaines communes comme Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) existent déjà des machines à voter, le chemin vers le tout numérique est encore long... Et beaucoup considèrent essentiel de maintenir la profession de foi papier qui reste, pour de nombreux Français, le seul lien avec la politique.

Pour les imprimeurs, le butin du scrutin

Mise à jour de l'article

« Une élection, c'est toujours une bouffée d'oxygène pour notre activité en décroissance », avoue Grégoire Morault, président de l'imprimerie du même nom, l'un des principaux groupes français du secteur. L'homme travaille depuis quinze ans avec des partis politiques et cette année, il imprimera plus de deux-cents millions de documents en format A4 pour quatre listes différentes. Deux grosses, et deux petites. Pour les gros, assurés de franchir les 3%, la facture sera directement envoyée au ministère de l'Intérieur, là où l'on a signé conjointement avec l'homologue des finances l'arrêté fixant le tarif applicable. A savoir 22,45 € pour 1.000 circulaires recto verso, ou 15,89 € pour le même nombre de bulletins de vote en simple recto. Un prix maximal que l'imprimerie Morault applique tout naturellement à des clients dont les commandes pourraient ainsi avoisiner les deux millions d'euros. Difficile toutefois d’estimer son chiffre d’affaires global, sur lequel l’imprimeur veut rester discret. On peut trouver moins cher, comme on nous l'a confié à l'UPR, où l'on disposerait d'un prestataire à 5 € les 1.000 bulletins, du moins en métropole car Outre-mer, le prix monterait jusqu'à 500 €. Le marché est en tout cas cette année réservé aux structures importantes, les seules à disposer de machines capable d'imprimer du papier de 70 grammes, l'exigence de l'élection de 2019. Certains ont d'ailleurs eu quelques difficultés à s'approvisionner avec ce grammage inhabituellement sollicité, mais la plupart avaient pris leurs précautions. On ne passe pas à côté d'une telle manne.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne