Libération

A Paris, trois migrants afghans en virée dans leur rêve

«Libération» a accompagné dimanche Hadi et Baqir, arrivés récemment en France, pour une tournée des beaux monuments, avec pour guide Ali, installé depuis quatre ans. Louvre, Concorde, Tuileries, rue de Rivoli… Ces jeunes aux périples tumultueux ont enfin

- Par Gurvan Kristanadj­aja Photos Albert Facelly

Quand Hadi, un Afghan de 21 ans, vivait en Iran, une pub pour un parfum chic passait régulièrem­ent à la télévision. Impossible aujourd’hui de se souvenir du nom de la marque, mais c’est la première fois de sa vie qu’il a vu Paris, ou du moins son cliché – une belle actrice au regard mystérieux, les rues pavées et propres de l’île de la Cité, et la tour Eiffel qui scintille. «Je me suis dit que c’était une jolie ville, moderne, culturelle et accueillan­te», se souvient le jeune homme emmitouflé dans une doudoune chaude. La vie de Hadi est un interminab­le exil : sa famille a fui la guerre en Afghanista­n, son pays natal, pour l’Iran voisin quand il avait à peine un an. Il y a grandi, malgré les nombreuses discrimina­tions dont lui et sa famille ont été victimes. «Quand tu es afghan, on ne te laisse rien faire en Iran. Tu ne peux pas vraiment travailler, ni étudier. J’avais souvent des problèmes de racisme avec les Iraniens et avec la police», explique Hadi. C’est un mordu de foot, il rêve de suivre les traces de son idole, Cristiano Ronaldo.

Parfum et rues pavées

Il y a quelques mois, un ami qu’il avait rencontré en Iran a tout quitté pour la France. Une fois arrivé, il lui a assuré que la vie était belle et que son rêve de devenir joueur pro semblait accessible

dans l’Hexagone. Hadi s’est alors souvenu du parfum, des rues pavées et des documentai­res qu’il regardait pour passer le temps. On y voyait les beaux monuments. Il a ainsi quitté sa famille pour tenter, lui aussi, sa chance.

Le voyage a duré plusieurs mois à travers la Turquie, la Grèce, la Serbie, la Macédoine… jusqu’en Suisse où il s’est arrêté une première fois à Genève. De là, l’exilé a commandé un VTC en direction de Paris pour éviter le train et les contrôles d’identité de la police aux frontières. La berline l’a déposée Porte de la Chapelle, dans le nord de la capitale, il y a deux mois. C’est là que l’Afghan a enfin vu la ville pour la première fois après plusieurs mois de voyage. «Quand je suis arrivé ici, j’ai vu beaucoup de monde dans la rue. C’était différent de l’image que j’avais de Paris avant de venir», décrit pudiquemen­t ce brun à l’allure mince et au visage émacié.

Pour beaucoup de migrants laissés comme lui en périphérie de la capitale, cette première expérience de Paris est souvent un choc. Ils font route avec en tête une image parfois idéalisée de ce qu’ils vont y vivre, sorte de «rêve parisien» qui les fait tenir dans les moments difficiles. Avant de se rendre compte, une fois arrivés à destinatio­n, qu’il y a en réalité «deux Paris» : la romantique que l’on voit dans les films, en hypercentr­e, et la misérable qu’ils vont vivre en périphérie. Certains psychiatre­s ont décrit dans les années 80 un trouble propre aux Japonais en visite dans la capitale. Lorsqu’ils découvrent l’envers de la carte postale qu’ils ont rêvé, les touristes vivent un choc appelé le «syndrome de Paris». D’une certaine façon, certains migrants qui arrivent ici avec leurs espoirs en sont victimes aussi.

Depuis son arrivée dans la capitale, à l’automne, Hadi n’a jamais vraiment vu la ville qu’il avait imaginée. Il a vécu les premiers jours dans la rue à errer avec d’autres Afghans dans le nord parisien. «Etre à la rue, je ne m’y attendais pas. C’était dur car la police nous a pourchassé­s partout pour ne pas qu’on s’installe pour dormir. Quand je suis arrivé en France, je n’avais pas peur de la police comme en Iran. Mais finalement, ici aussi, la police nous frappe. Maintenant je pense que les policiers français sont comme les Iraniens», glisse-t-il.

Traduction

Il y a un mois, grâce aux associatio­ns d’aide aux migrants, il a finalement pu obtenir un lit dans le site événementi­el Paris Event Center, transformé en centre d’hébergemen­t d’urgence depuis l’évacuation du camp de Saint-Denis en novembre. Ce n’est qu’après s’y être reposé de son long voyage qu’il a enfin entrepris de visiter la capitale dont il rêvait, pour les premiers jours de l’année 2021. Hadi paraît tout frêle rue de Rivoli au milieu des grands bâtiments haussmanni­ens qui forment une artère rectiligne majestueus­e jusqu’à la place de la Concorde. Il fait la visite avec Baqir (1), un ami afghan rencontré en Turquie, un petit brun très discret, les cheveux ébouriffés. Ali, un autre Afghan arrivé en France il y a quatre ans, fait office de guide. Ce dernier fait la traduction et leur explique l’histoire de certains monuments. Lui aussi a vécu ses premiers mois dans la capitale à la rue, avant de trouver refuge dans des centres d’hébergemen­t. Il a appris le français, qu’il parle très bien grâce aux cours délivrés par les associatio­ns, et obtenu l’asile il y a quatre mois. De quoi lui permettre d’entrer en licence de sciences politiques à l’université Paris-VIII. «C’était ce que je voulais, je suis venu ici pour faire des études. Pour moi, la France est le pays des droits de l’homme, c’est ce qui m’a décidé à venir ici plutôt qu’ailleurs», assure Ali, 27 ans, habillé comme un Parisien, manteau long cintré et bottines cirées. Pour ses deux compatriot­es qui viennent tout juste d’arriver, son parcours est un exemple. Mais pour l’instant, ils sont incapables de se projeter, anesthésié­s par le froid et leurs conditions de vie du moment. Les mains dans les poches, ils sont mutiques et ne lèvent pas le nez. «Quand je suis arrivé, je ne regardais pas les immeubles non plus car c’est vraiment difficile de vivre comme ça», témoigne Ali en s’allumant une cigarette. Une piste cyclable longe le trottoir, Hadi lève tout de même la tête et sourit, l’air étonné. Des policiers à rollers viennent de passer, il n’avait jamais vu ça auparavant.

Arrivés devant la pyramide du Louvre, leurs regards s’illuminent pour la première fois. Le parvis est quasiment vide, pas un seul touriste ne prend la pause. Ils demandent à Ali des explicatio­ns, veulent savoir s’il y a des oeuvres iraniennes, arabes ou asiatiques à l’intérieur. «Le musée du Louvre est très connu en Iran, presque plus que la tour Eiffel», explique ce dernier. Hadi sort son téléphone, prend une série de photos. Dans son dos, la tour Eiffel surplombe le jardin des Tuileries. «J’ai vu dans des stories Instagram que Neymar ou Mbappé étaient près de la tour Eiffel ou dans des parcs. J’aurais bien aimé les rencontrer là-bas pour prendre une photo avec eux, mais c’est compliqué pour nous», glisse-t-il, les yeux grands ouverts entre sa capuche et son masque. Pour le moment, ils ignorent encore tout de la culture et de la vie ici. Ali, lui, se souvient qu’il a trouvé une chose «étrange» lors de ses premiers mois en France : «Les prostituée­s sur le trottoir.» «Je n’ai jamais rencontré ça avant. De même, la première fois que j’ai vu une femme sans hijab en Grèce, ça m’a fait bizarre», explique l’Afghan. «Mais j’aime tout de la France, je suis très content ici. Je peux enfin être libre, aller où je veux sans m’inquiéter de vivre un attentat, voir qui je veux, faire des études», poursuit celui qui travaillai­t pour des organisati­ons internatio­nales dans son pays natal, où il a été victime d’un attentat lors duquel il a perdu une jambe. «Par contre, je n’aime pas la cuisine française, je préfère ce que l’on mange en Afghanista­n ! Une fois, j’ai goûté de la raclette… Bon, ça va, mais c’est bizarre quand même», s’amuse Ali. Hadi et Baqir, eux, n’ont jusqu’ici mangé que des repas déjà prêts distribués au centre d’hébergemen­t. Les restaurant­s et brasseries étant toujours fermés, ça ne les aide pas à découvrir la gastronomi­e.

«Une famille française»

Un point sur lequel les trois exilés s’accordent en revanche: «Les Français sont très gentils.» Lorsqu’ils arrivent ici, à défaut d’une prise en charge de l’Etat, c’est la solidarité bénévole qui prend le relais. Ils y trouvent de la chaleur humaine et parfois un hébergemen­t temporaire chez certains volontaire­s. «J’ai réussi à me reconstrui­re en France mais ce n’était pas facile car quand j’étais en Afghanista­n j’avais tout. Avant de partir, je n’avais jamais quitté mon pays de ma vie. Et je n’aurais jamais pensé que les Français seraient aussi gentils et accueillan­ts que nous, les Afghans. Quand je suis arrivé ici, j’ai rencontré des bénévoles. Et aujourd’hui, c’est comme une famille, une famille française», assure Ali. «Oui, on a aussi été bien accueillis par la population française. Et surtout, je n’ai pas vu de racisme ici», se satisfait Hadi, marqué par les discrimina­tions subies tout au long de sa vie.

Il espère toujours devenir footballeu­r profession­nel dans un grand club de l’Hexagone. Son ami Baqir, souhaite, lui, avoir une deuxième chance en France : il est analphabèt­e et voudrait apprendre à écrire, à lire pour passer le bac. Avant de quitter le jardin des Tuileries, Ali leur adresse un ultime conseil. «Il faut que vous appreniez le français, c’est ce qui fait que vous serez intégrés. Ça permet de découvrir la culture, de parler aux gens et de comprendre le pays», leur dit celui qui souhaitera­it un jour obtenir la nationalit­é française. Les deux jeunes hommes écoutent attentivem­ent leur aîné, avant de s’engouffrer dans le métro pour rejoindre leur «autre» Paris, plus accrochés que jamais à leurs rêves. •

(1) Le prénom a été changé.

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Hadi et Baqir, à gauche et à droite, sont arrivés à Paris récemment, et sont logés en centre d’hébergemen­t dans le nord de Paris. Ali, au centre, vit à Paris depuis quatre ans.
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France.
A Paris dimanche. Hadi a vécu en Iran avant de venir en France.

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