Mise en abîme historique et déconstruction des stéréotypes et amalgames aux Etats-Unis


Histoire-Géo édition Taylor Sheridan



Comancheria, à ranger entre deux livres d'Histoire-Géo édition Nathan et Hachette. Quand bien même il est possible de se remémorer le contenu poncif de ces manuels scolaires rébarbatifs. L'Histoire du nouveau continent se résume aux épisodes de quelques conquêtes américaines et autres magouilles géo-politiques. Chapitre I, Christophe Colomb, Chapitre II, Ségrégations, champs de cotons et chemins de fer et Chapitre III, souveraineté, soutiens militaires douteux, crises financières et Mcdonalds ! Bien heureusement, d'autres lectures, quelques bibliographies et beaux voyages culturels ont permis de rectifier le tire. Tout comme le cinéma d'ailleurs, lui qui peut se révéler être une belle alternative dans la production et la diffusion du patrimoine historique et culturel. Le scénariste Taylor Sheridan y participe activement avec Sicario, Wind River et Comancheria.



Le cinéma pour déconstruire nos perceptions



Quoi de mieux que de voir à la distribution Jeff Bridges et Gil Birmingham, duo dichotomique de la countryside , l'un étant la représentation du vieil américain moustachu, l'autre est celle du sage amérindien Comanche. Les problématiques socio-culturelles soulevées par les deux compères sont perçues dans le film au travers des stéréotypes et amalgames qui alimentent les dialogues. Une façon d'exposer ostensiblement les profondes cicatrices laissées par les conflits historiques inter-communautaires entre Comanches, Américains caucasiens et autres Mexicains.


Et ça c'est cool, parce qu'ici, le scénariste tente en réalité de déconstruire des stéréotypes bien encrés chez de nombreux citoyens américains et européens. Ils tentent en fait de détourner cette vision habituelle "américanocentriste"; expose subtilement la complexité sociale et la confusion identitaire, toutes deux accentuées par des phénomènes d'acculturation.
Le spectateur en est même victime ; peut-être aurait-on bien aimé voir Gil Birmingham, interpréter un authentique sage amérindien empli de spiritualité ? Non c'est un catholique dans le film, ah ça vous en bouche un coin ! En ce sens, le scénariste vise juste dans ce qu'il propose et dans ce qu'il dénonce.



Qu'elle est l'instrument du crime ? Les banques, pas les armes



Telle serait la phrase que je citerai, si on me demandait à décrire le film de David Mackenzie.
Plus que de ne servir un banal film de casse, Comancheria vient pointer du doigt ce qui sera considéré comme le véritable ennemi de cette bataille culturelle et lutte contre la pauvreté qui persiste en milieu rural : les banques. Ce sont elles, et non pas les armes, ni même une quelconque communauté qui instrumentaliseraient la violence et la haine. Et ça c'est intéressant !



Pour bien filmer la ruralité américaine, faut qu'la caméra prenne la poussière !



Côté direction artistique, on ne bénéficiera point d'images autant percutantes et esthétiques que les polars Wind River et Sicario. Toutefois, cette mise en scène sobre conserve la lumière naturelle de la région aride et sec du sud des États-Unis et permet de retranscrire justement l'atmosphère poussiéreuse et désertique des provinces rurales de la vieille Amérique telles quelles sont. En somme, Pour bien filmer la ruralité américaine, faut qu'la caméra prenne la poussière ! Et attention #nofilter s'il vous plaît.


On retrouvera en effet tous les éléments qui participeront à la construction mentale du Texas et de l'Oklahoma; chapeaux de cow-boys, troupeaux de vaches, le dinner's et sa bonne vieille serveuse aigrie qui ne sert que du T-bone steak, les "vielles voitures de merde", longues routes interminables, maisons à l'architecture coloniale, sans oublier les fameux grands déserts renforçant l'atmosphère hostile des vieux états américains. Des musiques entraînantes full-country rythment les quelques belles images aériennes et font offices de transitions efficaces entre chacune des scènes. Un régale pour les oreilles !



Et ce que Nathan nous avait pas dit !



Alors, quelles conclusions pouvons-nous en tirer quant aux évolutions historiques et géographiques de ces territoires ? Eh bien il y en a guère, le monde semble être en marche du côté des grands pôles urbains mais en stand-by en milieu rural. La countryside semble être la face cachée de la belle Amérique, dans laquelle se regroupe Amérindiens mal considérés et Américains déchus qui peinent à vivre la fantasmagorique vie de cow-boys.
D'ailleurs les mythologies mises en place par les histoires policières et de western se retrouvent complètement déconstruites. Ici, le cow-boy y voit son bétail affamé, l'avenir y est incertain et les alternatives se voient être ces chevalets de pompage (pumpjaks) qui extraient le pétrole un peu partout dans l'Oklahoma, puis accessoirement, le braquage de banques. Le fédéral de son côté, est complètement désabusé et se prélasse comme un vieux lion mourant attendant de livrer son dernier duel.


Les amalgames alimentant le discours des personnages ainsi que les paysages ruraux dominés par les pompes à pétrole dans le film, reflètent largement les problématiques socio-culturelles et économiques de la grande puissance... Et ça Nathan ne me l'avait pas dit !


Plus de lectures avec la même approche d'analyse, par ici : Sicario (https://www.senscritique.com/film/Sicario/critique/139890118) et Wind River (https://www.senscritique.com/film/Wind_River/critique/140127115)

Jordan_Michael
7
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le 11 janv. 2018

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