Le néo-horrifique [dramatique] et la pertinence de l'implicite

Sorti en France l'été dernier, Hérédité est le tout premier long-métrage d'un cinéaste américain - commencez à en retenir le nom - celui d'un certain Ari Aster. Qu'en est t-il ? Bon. Pour commencer, Halloween approche à grand pas, vous êtes pressé, les pop-corns sont d'or et déjà sous vos bras, votre partenaire ciné s'impatiente, il attend que vous choisissiez un vrai film d'horreur cette fois-ci ; alors je vous répond tout de suite... Oui, Hérédité est un excellent film d'horreur !



A l'origine de la peur...



L'horreur. l'horrifique parait être un terme aisément malléable mais il fait finalement grand débat. Moi de l'horreur, je trouve cette définition : "La peau, se retirant sur elle-même, fera dresser les cheveux, dont elle enferme la racine, et causera ce mouvement qu'on appelle horreur", Bossuet, Conn. II, 12. De cette explication, on y comprend un état physique résultant d'un trouble psychologique momentané, ce pour nous avertir d'un potentiel danger... Vestige psychologique et [héréditaire] sans doute d'un passé lointain où le monde était rempli de mystères et de prédateurs naturels. Enfin voilà un truc qui fait pé-fli finalement.


Si l'on s'en tient à cette définition, la sensation d'horreur peut donc être liée à tout et n'importe quoi ; elle est subjective et soumise au vécu, à des traumatismes passés ou à l'inconnu. Et cela est probablement la cause du débat suivant : qu'est ce qui est du cinéma d'horreur ? Saw ou Evil Dead ? C'est du gore, certains diront. Get Out est plus psychologique que horrifique, à l'instar de L'Antre de la Folie, des puristes affirmeront que l'horreur se dissimule dans la mise en scène de l'angoisse et du suspens, plus que dans l’exhibition de scènes sanglantes. Oui mais d'autres y sont particulièrement sensibles aux scènes gores, et assimilent l’hémoglobine à l'horreur. Bon de base, l'horreur semble être affaire de perspectives si vous me lisez. Le cinéma classique en donne une définition bien restrictive, souvent en montrant traditionnellement un monstre ou un tueur se jeter sur sa victime sur fond de musique grinçante.


Pourtant, les peurs et sensations d'horreur sont assimilées à tellement de sujets et thématiques, qu'il serait peut-être sage de ne pas restreindre la définition-même de l'horreur, de ne pas considérer ce dernier comme un genre, mais peut-être bien comme un "super-genre", un "clade" de genre ou un "ordre", où seraient regroupés la science-fiction horrifique, les animaux dangereux et monstres d'épouvante et de cryptozoologie ou encore le psycho-drama horrifique, et bien d'autres encore. Dans chacun de ces genres, il serait même possible de classifier et d'organiser des sous-genres. Dans le psycho-drama horrifique on pourrait y mettre le huit-clos horrifique, le survival, le paranormal dramatique entre autres ?


En réalité, ce n'est pas innocent si dans mes néologismes j'entrecroise les termes de drame et d'horreur, car selon moi cette hybridation assumée définie aujourd'hui la nouvelle génération du cinéma d'horreur : comme une sorte de mouvement de renouveau, qui vient substituer des sous-genres en déclin depuis plus d'une décennie, tels que le slasher et le paranormal classique et found-footaged.



Le dramatique ; la clé du succès de l'horrifique ?



Hérédité [on y vient, ça y est] est à mon sens la parfaite illustration de cette renaissance de l'horrifique, et s'inscrit dans la lignée de nombreux relatifs cinématiques de ces quelques dernières années, parmi lesquels on peut citer l'excellent It Follows, Get Out, A Cure for Life, It Comes at Night, A Ghost Story; Witch, le frenchy Grave et le tout récent Sans un Bruit. Tous, jouent la carte de la sobriété, s'émancipent du jump-scare, de certaines normes de l'horreur devenues ringardes, et se permettent d'apporter une portée dramatique voire contemplative afin de crédibiliser un univers comme jamais auparavant, et de le rendre accessoirement "terrifie-ment" beau.
Les scènes de Hérédité sont belles, ce sont de véritables structures architecturales tant au sens figuré qu'au sens propre du terme, puisque tantôt présentées sous forme de miniatures, tantôt montrés dans de grands décors sombres et cauchemardesques.


Hérédité va même plus loin que ces contemporains du genre. Il reprend des bases et de vieilles représentations comme se l'est permis David Lowery avec A Ghost Story [ici, avec le paranormal et la figure du démon] et touche des thématiques sensibles tel en a été le fier engagement de Jordan Peele, et son Get Out. Or, Ari Aster, ici re-modélise le genre du paranormal en ajoutant une quantité d'éléments scénaristiques qui fera de l'architecture de cette oeuvre, une formidable création complexe qui mérite même d'après moi plusieurs visionnages.
- (i) Premièrement, le bonhomme, à la fois cinéaste et scénariste est maître de son travail, cela se sent terriblement. Sur un marché saturé par le visuellement beau et l'auto-dérision, il s'autorise là, le sérieux et la complexité puisque son histoire puise dans des contes de sciences occultes bien fournies en détails.
- (ii) Deuxièmement, les détails forts intéressants et inédits dans le 7ème art qu'apporte le cinéaste, se mêlent à une histoire de famille, qui on l’appréciera, ne sera pas composée de la maman bourgeoise et de ses enfants clichés. Les personnalités et le passé de la famille sont aussi bien développés, et ça, ça fait plaisir ! Attention, restez attentif aux indices !


La portée dramatique apporte du réalisme. Elle, et l'horreur vont parfaitement de paire, se passent la main à tour de rôle dans chacune des scènes, et livrent une intensité que j'ai rarement vue au cinéma. Ces genres qui se transcendent se dessinent de par une mise en scène s'émancipant des habituelles séquences épileptiques coupées et redécoupées ; une mise en scène qui préfère capturer la peur sur des décors pleins ainsi qu'à travers la rétine de cette poignée d'acteurs très performants. Oui, forcément, parlons-en des comédiens.
Toni Colette notamment, cette dernière interprétant la mère de famille, est bluffante ! Simuler autant d'émotions fortes et intenses dans la même séquence laisse penser que l'actrice pourrait bien avoir du mal à trouver la limite entre "interpréter" et présenter des troubles de personnalités multiples dans sa vie privée. [C'était une façon de faire une éloge bien sûr, une éloge terrifiante certes, mais en même temps on est dans le thème].



L'ajout de symboles pour parfaire le récit...



Hérédité, est un film d'horreur complet, qui apporte successivement et minutieusement de l'horrifique, ce délicatement parsemé dans un récit élaboré et énigmatique, chargé, toujours, de symboles et de libres interprétations. Même la fin se passe du traditionnel climax tape-à-l’œil et superficiel ne pouvant ordinairement se passer de pyrotechnie et de destruction. (Conf. https://www.senscritique.com/film/Sans_un_bruit/critique/171687260 ).


Le récit préfère terminer sa chute vers la révélation, et l'abstrait, la fatalité et l'impuissance envers un danger, la non-capacité... La non-capacité de protéger sa progéniture notamment. Des peurs profondes qui servent de toile de fond à une oeuvre qui tente de montrer un nouvel angle de l'horrifique. Ici, le démon n'est pas lui-même le danger, mais plus une personnification des peurs vestigiales et intrinsèques à chaque humain. Les victimes sont des poupées, des marionnettes de scènes, elles-mêmes observées par le spectateur et manipulées par le démon.
Tout ceci donne tellement plus de profondeur et de consistance, qui fait d'Hérédité l'un des rares films du genre à qui je mets un 8/10 !



Pourquoi regarder ce film d'horreur plutôt qu'un autre ce soir ?



Que conclure franchement ? Oui. Spectateurs sortez des sentiers battus et quittez les grandes autoroutes du classicisme hollywoodien, qui présente un horreur trop lisse et aseptisé. Je reconnais pourtant bien des qualités à des licences comme Insidious ou Conjuring. Cependant, l'accent est davantage porté sur la construction de mythologies et d'iconisation de personnages cultes, ce justement dans le but de créer des extensions qui rempliront toujours plus les poches de ces quelques producteurs assoiffés.


Ici, l'horreur est artistique et représente des scènes codées du genre en y apportant de la modernité et en traitant les sujets paranormaux implicitement. Crier à la caméra, "ceci est un fantôme" c'est prendre le spectateur par la main et l'assister en considérant qu'il ne doit pas prendre la peine de réfléchir. Cette nécessité de paraphraser l'action, pourtant bien comprise de tous, est abjecte pour moi, mais pourtant bien fréquente dans le cinéma d'aujourd'hui.
Hérédité rectifie le tire en présentant des scènes sans originalité, mais purement fonctionnelles parce qu'elles sont pensées, repensées, modernes et subtiles, coupées parfois de tout discours ou seulement accompagnées de quelques onomatopées. C'est la pertinence de l'implicite, qui, caractérise le néo-horrifique, lui qui se voit vêtir du dramatique familial et du psychologique. J'adhère. Le résultat, plus que convainquant, frôle l'excellence.


Ari Aster, retenez ce nom...

Jordan_Michael
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le 29 sept. 2018

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