Keep calm and decolonize : faire l'impasse sur le fautif, pour mieux dénoncer

Quelle claque. Une œuvre qui semble d'une pureté et d'une authenticité inégalées. Ici, le cinéaste Scott Cooper extrait minutieusement les souffrances de communautés opprimées d'Amérique du Nord, d'un épisode historique extrêmement violent. Ce concentré d'émotions pures m'ont procuré des sensations comme très peu de films savent le faire.



Keep calm and decolonize



Grands friands de films d'action et de western spaghetti, battez en retraite. Hostiles est une œuvre dramatique et psychologique engagée, prenant place dans les grands États de l'Ouest américain de la fin du XIX ème siècle, soit une trentaine d'années suivant la Guerre Civile. S'inscrivant assurément comme une forme de dénonciation du génocide amérindien, le nouveau film de Scott Cooper suit un élan fort encourageant qui est celui de revaloriser les populations native-américaines. 2018 voit l'avènement d'un cinéma "autochtone". Celui ci composé de décisionnaires, acteurs et cinéastes dits natif-américains, créant des œuvres cinématographiques notamment, dramatiques, psychologiques mais aussi fantastiques. Cette série s'appelle Keep calm and decolonize. Une initiative originaire du Canada. Je vous encourage donc à aller vous renseigner. Beau programme pour créer de l'unité et apporter de la diversité dans le cinéma (et pas que).



La territorialisation plutôt que le racisme



Les voisins d'en-bas apportent conjointement depuis quelques semaines maintenant, Hostiles, qui fera plus que simplement dénoncer le massacre de masse perpétué durant les colonisations sur les autochtones américains. Le film creuse des problématiques socio-culturelles et politiques bien plus profondes, en s'attardant précisément sur l'écologie humaine. [De quoi parle t-il ?]. Oui eh bien, voyez plutôt l'analyse que je propose. L’œuvre semble interroger le comportement de l'Homme en décrivant les processus de territorialisation, de domination et de soumission au sein d'un territoire. Et pas n'importe lequel. Les Grandes Plaines d'Amérique, le Montana, le Wyoming, le Colorado, les troupeaux de bisons, les immenses et vastes terres sauvages ! Aaah le rêve, l'Eldorado. Comprenez-donc que je ne vous parle pas de la campagne périurbaine en région parisienne, avec sa petite zone industrielle, son Aldi, son Macdonalds, et sa Foir'Fouille.


Ce qui est fort passionnant dans le film, c'est que cette description faites sur la territorialisation et les conflits communautaires est réalisée sur chacune des communautés, les Américains caucasiens, les Cheyennes et dans une moindre mesure les Comanches. Le film fait poser les bonnes questions et teste son spectateur dans la partie introductive, en montrant tantôt une communauté amérindienne capable d'une violence rare, tantôt les Américains caucasiens qui peuvent l'être également. Beh oui forcément. Le cinéaste pousse son spectateur dans un premier temps à s'engager dans une analyse binaire, manichéenne et extrêmement dangereuse consistant à dire qu'il existerait une communauté/population juste, sage et honnête, et une autre violente, terrible et cruelle.
S.Cooper appâte son spectateur avec la thématique du racisme, pour en fait exploiter celle de la territorialisation et du conditionnement d'une communauté humaine au sein de son territoire. Et c'est un véritable tour de force.
Dans la deuxième partie du film, le cinéaste retrousse ses manches pour finalement détruire et déconstruire tous les amalgames et préjugés hautement péjoratifs portés tantôt sur les amérindiens (Comanches comme Cheyennes), tantôt sur les Américains causasiens (et optionnellement afro-américains). Quand une œuvre cinématographique prend limite la forme d'un exercice d'éducation populaire et de solidarité.



Le cinéma comme outil d'éducation populaire et de solidarité



Ici, voici ce que nous dit le cinéaste d'après-moi : "Osef, le fautif de l'Histoire". C'est vrai, on pourrait pointer du doigt les Occidentaux caucasiens, ou bien simplement les quelques décisionnaires puissants à la tête des troupes militaires. Mais là, l'idée c'est de dénoncer un comportement humain qui porte atteinte à la survie culturelle [et la survie tout court, disons les choses] de plusieurs populations. Je parlais précédemment de "conflits communautaires" mais l’œuvre prouve que l'expression pourrait bien être considéré comme un pléonasme. Forcément, ce qui oppose des groupes sociaux, ce sont les différences (communautaires). Vous avez beau vous retrouver avec votre pire ennemi autour du même feu de camp à survivre contre toute forme d'hostilité dépassant les limites de votre lieux de campement, vous allez forcément construire un attachement social et vous unir un moment ou un autre. Oh que si. Spécialement s'il y a des femmes et une progéniture à protéger. Tiens, exactement comme des loups.



L'Homme est un loup pour l'Homme.



Hostiles exhibe sans scrupule cet aspect instinctif et naturel de l'Homme, et ce peu importe la communauté dont il appartient. Ce côté très animal que l'on retrouve explique cette dimension très laconique de l’œuvre. C'est tellement plaisant. Des regards, une poignée de main, des regards profonds et mélancoliques, une bonne poignée de main ainsi que d'autres regards de peur, de regrets et de haine ; telles sont les souffrances illustrées dans le film, en plus de la violence qui, de souvenirs, a laissé de marbre un bon public avisé de Montpellier.



Autour du film.



Sur le plan technique, la direction artistique est exemplaire. On se sent minuscule devant ces grands décors naturels. Le film a reçu une nomination pour ses costumes. Eh bien je le récompense à mon tour. La transformation physique de Christian Bale est très crédible. Les acteurs autochtones sont extrêmement convaincants. Rosamund Pike est bluffante durant les scènes difficiles et explicites. Et je suis fier de l’ascension de l'actrice Q'orianka Kilcher qui en plus d'enchaîner des rôles de plus en plus intéressants, elle est également activiste et lutte pour créer de la cohésion entre les communautés autochtones aux États-Unis. Plus qu'une native, c'est une femme qui rêvait, selon une interview, d'être une actrice de cinéma sans forcément devoir être blonde à la peau blanche et au petit nez retroussé. Une actrice à suivre donc.



Le rôle du Cinéma dans l'Histoire ?



Hostiles est en fin de compte, une œuvre importante pour le cinéma d'aujourd'hui et l'Amérique d'aujourd'hui. Le cinéaste a su prendre du recul sur un passé douloureux sur lequel il serait facile de développer une haine envers les Américains caucasiens. Quand les historiens délivrent les faits, le cinéaste sert quant à lui de complément artistique, en alertant sur les pensées et réflexions radicales à ne pas avoir.


Le capitaine interprété par Christian Bale ne fait que son job, il tue, il massacre, mais il se venge aussi un peu, donc il tue, il massacre. Le meurtre en devient un rite de passage dans un contexte historique et politique violent. La Politique et la Loi s'effacent à mesure de s'enfoncer dans les contrées lointaines de l'Amérique. La loi, même présente dans la poche d'un officier et écrite sur une lettre, celle-ci soigneusement signée par un Président, ne fera aucunement effet ici, là, dans la nature sauvage. C'est bien ? C'est mauvais ? Beh oui forcément on adopte toujours ce réflexe quasi-innée à se demander si tous les phénomènes sont bons ou mauvais. Le film ne se retranche pas dans cela, et montre bien au contraire toute la complexité des comportements d'individus sociaux et territoriaux [et têtus comme des mules] on ne manquera pas de le préciser.



La Wilderness selon Scott Cooper : dissocier la loi juridique de la Nature sauvage



[Quelques précisions]. Près du bâti et de la civilisation, l'Homme est soumis strictement à ses devoirs juridiques et culturels, quand il s'enfonce dans la Nature au fur et à mesure de l'intrigue, alors ses instincts le rattrape. Peu à peu, la loi juridique se voit écrasé par les lois de la nature. Et Hostiles ne manquera pas de donner plusieurs exemples positifs comme négatifs ; méfiance, confiances, meurtres, viols, aveux, regrets, rédemption. Et c'est tellement habile d'exposer aujourd'hui cela dans nos cinémas, à l'heure où l'on compte seulement quelques 14 000 Comanches et 23 000 Cheyennes restants, tous tassés dans des réserves dont les superficies ont diminué aussi vite que toutes les promesses faites en termes de réparation. Le personnage de Christian Bale, complètement désorienté dans la dernière partie du film, finit par suivre son instinct le plus animal ; il suit ce qu'il a naturellement et instinctivement protégé durant tous les événements ; la Femme et l'enfant (amérindien).


Si l’œuvre présente quelques scènes bruyantes d'action, une bien grande partie est calme et réfléchie. C'est ce que devrait être le cinéma aujourd'hui, un cinéma qui peut avoir la force, doucement mais surement, de reconsidérer, revaloriser, corriger, faire évoluer... Décoloniser. Décoloniser ces populations aux cultures tribales extrêmement riches et diversifiées, ces dernières noyées dans l'ombre des grandes sociétés du Nord. Ouais on pourrait en parler de l'illusion portant à croire que le Nord ne posséderait pas de sociétés en grande détresse.



Interrogations et projections ?



Bref. Une formidable proposition de cinéma, qui n'est pas sans défaut. La distribution autochtone reste encore trop en retrait à mon sens par rapport à la distribution américaine. Un choix personnel du réalisateur ? Je ne serais trop dire, parce que clairement, le film semble être moins adapté au spectateur autochtone. L'amérindien est le sage, qui reste encore calme, qui ne parle que très peu, qui ne pleurt pas et qui n'a pas de moments intimes... Il est celui qui reste de marbre à citer deux trois proverbes bien pensés sur la nature et les animaux. Je fais donc le bête : ah oui ? C'est vraiment que ça un natif-américain ?
Malgré cela, le film est une claque. Et l'envie est plus grande maintenant, que d'aller jeter son dévolu vers le cinéma autochtone, réalisé et écrit par l'autochtone.


Jordan_Michael
8
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le 29 mars 2018

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