Un peu d'Art et de Liberté entre Algériennes

Nedjima est une jeune algéroise de 18 ans, étudiant et vivant dans une cité universitaire dans le Alger des années 90. Son rêve est d'être styliste. Elle tire profit du traditionnel haïk (vêtement féminin recouvrant la quasi-totalité du corps), pour le remettre au goût du jour, et confectionner différents modèles artistiques lors de défilés amateurs. Désireuse de percer dans le milieu, elle en organise plusieurs avec ses comparses "papichas", signifiant jolies filles algériennes.
Enfin, c'est sans compter l'oppression exercé par des groupes terroristes islamistes, qui menacent le peuple algérien, et en passant le rêve de Nedjima.



Fragment d'histoire d'une décennie noire.



Nedjima est pour la metteuse en scène Mounia Meddour ; une bribe, un fragment... Une portion infime d'une période historique scabreuse, débordante de terreur que fut la guerre civile algérienne des années 90, appelée la décennie noire. Poussée par une volonté intime de commémoration aux victimes, la metteuse en scène parvient à nous faire retranscrire toute l'ivresse électrisante et galvanisante de son protagoniste en moins de 2h de film.
Nedjima - Lyna Khoudri actrice du cinéma franco-algérien et quelque peu concernée par la guerre civile - est tout du long de l'oeuvre ivre... Ivre d'Art et de Liberté, se servant du haik comme une arme idéologique de revendication féministe et démocratique.
Autant touchant et percutant cette année ? A négocier...



Un certain regard français...



Papicha est un hymne à la féminité, à la beauté, à l'art et à la liberté. Les figures masculines sont délibérément écartées du récit, justement peu considérés. La metteuse en scène nous équipe d’œillères permettant de faire le focus sur l'essentiel, ceci nous garantissant un récit sincère et intimiste, confiant de sa destination scénaristique.
Participant foncièrement à la diversification du trop peu hétéroclite cinéma français contemporain, Papicha est une oeuvre qui s'exprime et se revendique d'elle-même, nul besoin d'une critique jointe, juste visionnez-le !


C'est un cinéma nécessaire. C'est un cinéma important, bien que suscitant seulement un certain regard du Festival de Cannes, il se révèle actuellement comme un chant de résonance à travers l'ensemble du pourtour méditerranéen, avec notamment une distinction de marque faites en Egypte lors du Festival du film d'El Gouna 2019.



Un certain regard algérien...



Dans un élan d'engagement fort et avéré, Mounia Meddour donne raison à ses personnages, elle a ses raisons, et contre toute attente - ironie que fais-tu là - les autorités algériennes annulent l'avant-première à Alger au 21 septembre 2019. Vous nous en direz tant.
La mise en abîme est presque parfaite ; une autorité religieuse extrémiste fait obstacle à l'art dans la fiction tandis qu'une autorité gouvernementale fait obstacle à l'art dans la réalité.
Et si vous êtes taquin, raison de plus il y a pour regarder Papicha !


Puis parce que cette production franco-algérienne tombe à pique. Les rues de la capitale de ce grand pays qu'est l'Algérie est encore - en cette fin d'année - tapissée par la foule révoltée. Encore en 2019, un mouvement de contestation appelé Hirak est orchestré à l'occasion des élections, par un peuple moteur constituant, désirant rendre à la Liberté toutes ses belles lettres de noblesse.
Et dans ce contexte, le film peut ajouter une couche, tantôt de prise de conscience, tantôt de bienveillance.



Identité algérienne et identité féminine



Papicha figure une Algérie parmi tant d'autres, elle y fait également transfigurer un art (stylistique) parmi tant d'autres. Un même bout de tissu peut être diabolisé et pernicieux (conf. Les médias), et à la fois, marqueur de fierté et de glorification, indicateur de richesse culturelle et de créativité (conf. Papicha).
En dehors de la symbolique, on sera également plus que touché par les indestructibles ambitions du jeune personnage féminin, ces dernières permis par un jeu d'interprétation exemplaire.
Ceci étant la force de l'oeuvre ; la cinéaste y superpose sa vision de l'identité algérienne avec celle de l'identité féminine.


Concernant l'Algérie, je remarque à titre personnel que c'est d'ailleurs un pays trop peu connu, outre son passé colonial et quelques délices culinaires... Forcément.
Sans trop de difficultés vous déterrerez des discussions virulentes sur les réseaux évoquant l'identité algérienne ; l'Algérie est-elle plus autochtone ou arabe ? Quand beaucoup amalgameront les ethnies avec la linguistique (berbérophones, arabes maghrébins) et la religion musulmane. Un méli mélo de croyances et de dogmes en tout genre. Bref.



En conclusion



Papicha - dans ses retranchements artistiques - offre une histoire cinématique qui peut un peu plus, faciliter la compréhension et le raisonnement.
Bien qu'avant tout, on considérera Papicha comme une pépite du cinéma, un récit exaltant avec un casting foudroyant.


Un véritable coup de cœur à classer impérativement dans un top 10 de l'année 2019.

Jordan_Michael
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 29 nov. 2019

Critique lue 547 fois

3 j'aime

3 commentaires

Critique lue 547 fois

3
3

D'autres avis sur Papicha

Papicha
Freddy-Klein
9

Critique de Papicha par Freddy Klein

Les mustangs sont indomptables. Nedjma, 18 ans, étudiante, se faufile le soir à travers le grillage qui entoure sa cité universitaire. Elle rejoint une amie pour se rendre dans une discothèque huppée...

le 24 mars 2023

42 j'aime

6

Papicha
seb2046
7

Entre us et coutures, la liberté secoue...

PAPICHA (15,8) (Mounia Meddour, ALG, 2019, 110min) : Percutant film contre l'obscurantisme algérien survenu entre 1991 et 2002 (la décennie noire), à travers le destin d'une jeune styliste de mode et...

le 3 oct. 2019

23 j'aime

7

Papicha
jjpold
5

Beau et décevant à la fois

Porté par de formidables comédiens, une très belle image et un sujet fort, « Papicha » n’en reste pas moins un film décevant… La réalisatrice Mounia Meddour s’est tellement concentrée sur...

le 24 avr. 2020

22 j'aime

Du même critique

Aterrados
Jordan_Michael
7

La peur est contagieuse : quel film d'horreur/épouvante pour une soirée entre amis ?

Toutes et tous, vous y avez été confrontés. Vous, fans de films d'horreur qui comme moi, ont pu se retrouver devant une table basse ornée de bols de chips, de jus de bissap et quelques verres de vin...

le 8 mars 2019

10 j'aime

Le Choc des Titans
Jordan_Michael
7

Réédification du Péplum et come-back d'un piètre sous-genre

Parole d'un fan inconditionnel de l'original de 1980. Le Choc des Titans édifié par Desmond Davis et Ray Harryhausen est une véritable perle du septième art - oui je ne me gêne pas de parler...

le 2 déc. 2017

10 j'aime

3