Tout juste de retour de sa soit-disante retraite avec Logan Lucky en 2017, Steven Soderbergh n'a pas mis longtemps à se replonger dans le bain car il a de suite enchaîné avec son prochain film, Unsane. Projet d'envergure plus modeste mais qui se veut un pas en avant à l'échelle cinématographique car il l'a entièrement tourné à l'Iphone. Véritable expérimentation technique, Soderbergh renvoie son cinéma dans la continuité de ce qu'il avait commencé en 2009 avec The Girlfriend Experience. Un cinéma faussement plus minimaliste où il explorait les limites du format de l'image et basculait dans l'expérimentation tout en étudiant la fragilité des rapports sociaux et de d'une système déshumanisant sous le prisme de la condition féminine. Unsane et The Girlfriend Experience apparaissent comme deux œuvres jumelles, aussi différentes que complémentaires dans les thématiques abordées mais aussi le regard qu'elles portent dessus. De quoi permettre à Soderbergh de montrer qu'il est toujours un cinéaste passionnant et beaucoup trop sous-estimé.


Le scénario aura ses lacunes vis à vis de sa façon de gérer le suspense de son histoire et de sacrifier très vite son ambiguïté. Il ne sera pas très fin dans le déroulé de son récit, notamment dans le dernier acte, mais il compense cette faiblesse par une densité symbolique assez impressionnante. Le film dispose de plusieurs niveaux de lecture, tous plus intéressants les uns que les autres. Allant de la critique du système hospitalier déshumanisé au service d'une hiérarchie irresponsable et tortionnaire tout en passant par la peur constante d'être femme dans un monde de plus en plus cryptique où le prédateur peut se cacher partout mais aussi en évoquant l'insécurité mentale où l'aide ne devient qu'illusoire et incompétente, victime de sa propre incompréhension. Ici les personnages serviront surtout de fonctions autour du protagoniste qui se voit isolée au milieu d'individus vidés qui préfèrent détourner le regard sur sa détresse ou de simplement l'étouffer. La folie et la dépression étant des moyens d'accabler le personnage pour la pousser à ne plus être crue et à ne plus pouvoir être aidée. Sur cet aspect, Unsane arrive à toucher des vérités pertinentes sur le monde d'aujourd'hui où les personnes se dissocient de plus en plus les uns des autres. Dans The Girlfriend Experience, on payait les interactions sociales et physiques pour palier à la solitude et dans Unsane on force ces interactions à correspondre à nos besoins, indépendamment de la volonté d'autrui. La solitude ayant mutée vers une forme beaucoup plus violente.


Le personnage principal se trouve au milieu de ça, développé avec finesse. Nuancée et complexe, elle s'impose comme une personne diablement authentique dont on s'identifie facilement, Unsane n'en profitant jamais pour jouer à fond la carte de "la femme victime". Elle a un caractère tel qu'elle ne paraît jamais forcée et s'impose par son intelligence et son pragmatisme étant même par moments agaçante dans son comportement hautain et égoïste. Elle est autant la victime que l'instrument de la société qui l'a broie que pour se protéger elle devra se résoudre à la quitter. Le film dispose en ça d'une ironie et d'un humour noir assez cinglant, où l'aide devient l'oppression et notre façon de vivre notre propre prison, bien montrée dans la scène où on explique à Sawyer que pour éviter son harceleur elle devra changer de vie. Une société qu'on alimente mais qui se retourne inlassablement contre nous, elle vient de là la folie évoqué par le titre. Le casting est dominé par l'excellente performance de Claire Foy, qui offre une prestation subtile et brillante de justesse, tandis que les seconds rôles font tous un travail impeccable malgré peut-être un jeu un peu trop forcé de la part de Juno Temple.


Clairement vendu sur l'argument "filmé à l'Iphone", Unsane est un film qui a bien plus à offrir mais qui ne déçoit vraiment pas sur cet aspect. Steven Soderbergh, n'en déplaise à ceux qui le voit comme un faiseur sans grande personnalité, est un esthète de génie et tire de l'Iphone des fulgurances visuelles insoupçonnées. Grâce à une photographie impeccable, faîte par ses soins, il travail le grain de l'image pour approcher une texture des plus réalistes possibles et use de l'Iphone comme un vrai moyen de gonfler le fond du film. Avec une mise en scène ingénieuse, à base de cadres inventifs et de jeux impressionnants sur les échelle de plans, il crée une atmosphère anxiogène qui se joue en deux temps. Des plans voyeuristes et distants au début du film qui symbolise la menace qui plane sur son personnage, puis des cadres beaucoup plus resserrés et proche d'elle pour montrer son enfermement. Le film joue d'ailleurs avec brio sur les jeux de lumières et se rythme parfaitement avec un montage acéré mais aussi une composition musicale inspirée, qui détonne avec les images mais embrasse parfaitement le côté hypnotique de l'oeuvre. Toujours avec son côté très clinique et froid, mais loin d'être impersonnelle, Soderbergh signe un film qui n'appartient qu'à lui étant dans la continuité de ses obsessions visuelles. Dans sa composition des plans et de sa manière inventive de placer sa caméra, il impressionne et joue de la folie de son personnage dans des fulgurances plastiques mémorables. Que ce soit dans une image tremblante ou une séquence halluciné qui use d'un effet de trouble et de reflet pour montrer la crise dissociative de son personnage, ou encore un dernier acte qui vire au sublime, il prouve faire mieux avec un Iphone que beaucoup d'autres de ses comparses avec de grosses caméras.


Unsane est un brillant "petit" film. Qui montre que Steven Soderbergh n'a pas son pareil dans sa façon de mettre en scène et qu'il est aujourd'hui un des rares cinéastes à s'essayer à de vrais expérimentations techniques et une vraie envie de renouveler son cinéma. Mais plus que ça encore, il continue à poser une réflexion intelligente sur le monde dans lequel on vit où les rapports humains ne sont plus que des moyens que l'on s'approprient. Constat d'une société malade, d'un système déshumanisant et une peur moderne insaisissable comme peu prise au sérieux, Unsane arrive à développer des niveaux de lecture passionnants qui lui font dépasser le simple exercice de style dont il aurait pu s'enfermer. Le réduire à son expérimentation technique serait passer à côté de tout ce qu'il a à offrir, quand bien même il manque par moments de finesse dans ses aspects narratifs, Unsane reste un film passionnant par sa densité au casting impeccable, sublime Claire Foy, et à la mise en scène incroyable.

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le 17 juil. 2018

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