Il est toujours dur pour un cinéaste de rebondir après un immense succès commercial et critique, surtout quand celui-ci intervient dans une carrière encore débutante. Même si It Follows n'était pas son premier film, il eu un tel impact que David Robert Mitchell fut un nom à suivre et sur qui reposait beaucoup d'espoir. Ce qui engendre des attentes pour la suite, et pour un cinéaste qui ne veut pas rester sur ces acquis cela peut impliquer de décevoir son audience lors de sa prochaine oeuvre. C'est ce qui est arrivé à Under the Silver Lake, lors de sa présentation à Cannes mais aussi à sa sortie en salles car il a bien divisé les critiques. Même si on y retrouve sa patte personnelle, Under the Silver Lake est un film drastiquement différent d'It Follows (et même de son premier film The Myth of the American Sleepover) qui prouve la densité dont le cinéma de Mitchell est capable tout en restant fidèle à ses origines. Un film qui déstabilise mais qui a été spécifiquement conçu dans le but de déstabiliser.


Under the Silver Lake est un film sur les cultes, et plus spécifiquement sur le culte de la pop culture, une croyance collective ici équivalente à une secte. Les croyances sont universelles et affaire de conviction et ne se résume pas qu'à l'adoration d'une forme divine mais à la quête d'un sens, d'un "sur-soi". Ouvrant souvent la porte à des secteurs spécifiques où ne sont tolérés que les adeptes de cette même croyance. Alors en quoi la pop culture est telle différente d'une religion confirmée, de la scientologie ou autre ? C'est la question audacieuse que veut parcourir Mitchell montrant la pop culture comme un milieu toxique qui dispose de ses adeptes, ses divinités et de ses prophètes. Engendrant l'adoration, sévissant dans des lieux souvent sélects en développant ses propres codes et langages au point d'impacter la vie de tout les jours, la pop culture est une croyance. La nouvelle religion du 21è siècle. Et comme toute religion, elle favorise l'aveuglement et la protection de ses saints comme à voir dans le monde dans lequel on vit où l'on a encore du mal à punir et dénoncer un producteur, acteur ou réalisateur même lorsqu'il fait preuve de violence conjugal, d'harcèlement sexuel ou même de viol. Car la religion est avant tout un business qui vend une chose à son croyant et qui engendre donc un profit. Et le business est roi, et on peut tout vendre à la croyance aveugle.


C'est ce qu'est Sam, le protagoniste, un individu s'y ancré dans sa croyance qu'il en devient déphasé perdant le sens des réalités et glissant doucement sur la pente du détraqué. Tellement fasciné par ses propres idoles qu'il en a oublié de se construire une vie, devenant ce qu'il déclare pourtant détesté le plus. Un fantôme hantant une ville à laquelle il n'appartient plus. Souvent creepy, voire à la limite de la sociopathie, il s'enferme dans une spirale de solitude à cause de ses obsessions au point qu'il en vient à blâmer le monde de sa propre déchéance. Pourtant Mitchell a la bonne idée de ne jamais le prendre de haut et de définir son mal sans jamais l'expliciter totalement, même si la raison de sa dérive se révèle prévisible et un brin trop classique. On l'a comprend subrepticement à travers son obsession des chiens, et plus insidieusement, sa peur des femmes. Mitchell dresse d'ailleurs un intéressant parallèle avec la sexualisation de ses figures féminines, moyen déphasé de palier à une anxiété mais aussi fondement de l'ignorance résultant de l'habitude de vivre dans un univers superficiel. Ce qu'est au final la pop culture. Une industrie creuse qui exploite un filon, ayant compris le besoin de quête de sens, de se rebeller ou d'être compris par ses ouailles qui veulent juste trouver leurs appartenances.


De cette quête de sens reposera une grande partie de l'intrigue, de ce qui est finalement une satire bien élaborée. Et comme souvent, de sens il n'y en as pas car le but même d'une croyance n'est pas fondé sur la raison mais sur la foi. Une chose intangible et, par principe, irrationnelle. Le film va donc multiplier les pistes, offrir ici et là quelques réponses loufoques mais qui apportent au final plus de questions et va même apporter certains éléments dans le seul but de perdre le spectateur. Se rapprochant souvent d'un humour très noir, Under the Silver Lake s'impose finalement comme un jeu de couillon où le spectateur se retrouve dans le même piège que son protagoniste à vouloir démêler le vrai du faux. En ça, le film se trouve bien pensé même si Mitchell en profite trop souvent pour justifier sa narration cryptique et ses idées les plus opaques qu'il tombe dans un cynisme qui desserre son propos. Car il peut tout aussi bien tomber dans une intelligente réflexion sur la fragilité des croyances dans un face à face brillamment exécuté que d'offrir des scènes un peu trop longues et inutiles dans le seul but d'épaissir un mystère qui mène sur du vide.


Mais néanmoins, David Robert Mitchell admet aussi être le dindon de la farce étant la victime aussi de ses propres idoles. Il les cite souvent à travers sa mise en scène à l'atmosphère très lynchienne et des fulgurances purement hitchckockien. Il ne se contente jamais pourtant de juste les copier et arrive à développer son propre langage dans la continuité de sa mise en scène très naturaliste déjà présente dans It Follows. Prenant son temps, il compose le plus intelligemment ses plans et y cache ses propres codes et offre par moments des accélérations assez dingues soit par des fulgurances horrifiques ou d'impressionnants éclats de violences. La réalisation s'avère superbe et ne se laisse jamais emprisonner par son faux rythme, laissant finalement peu de place aux longueurs malgré la longue durée du film (on en notera cependant une en fin de film qui s'éternise un peu lors de sa conclusion). Par contre, David Robert Mitchell est souvent un peu trop sûr de ses effets, ce qui accentue ici son côté poseur et qui peut parfois agacer un peu. Par contre il peut compter sur un Andrew Garfield impérial et déjanté pour maintenir en haleine, l'acteur livrant ici un de ses plus hypnotiques performances dominant un casting en forme de figuration.


Under the Silver Lake est un film aussi étrange que fascinant. Clairement perfectible par sa volonté excessive d'être trop opaque ou la capacité un peu trop appuyé de David Robert Mitchell de se regarder filmer, mais aussi extrêmement intelligent et lucide sur le regard qu'il porte sur la pop culture. Religion inavouée et ici proche de la secte dans une satire ingénieuse qui brille par sa noirceur et sa loufoquerie latente et son protagoniste déstabilisant incarné par un Andrew Garfield au sommet. Under the Silver Lake est de ces films qui nous hantent bien après la projection, qui est loin d'être parfait mais développe un propos pertinent dans une forme souvent exemplaire et qui intronise David Robert Mitchell en cinéaste définitivement prometteur. Un très bon cru.

Frédéric_Perrinot
8

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Créée

le 13 août 2018

Critique lue 693 fois

3 j'aime

Flaw 70

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