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Wind River dit, c'est la nature en personne qui tranche les litiges et donne les sentences. C'est semble t-il le caractère endémique d'un territoire autochtone selon Taylor Sheridan, qui délivre un scénario de qualité. Une déroutante et édifiante tragédie policière gorgée de modernisme.
[Aparté] Le cinéma au Wyoming !
Ah moi grand amoureux de l'Amérique profonde que sont le Wyoming et le Montana, grand admirateur de ces terres sauvages et hostiles, qui grâce à l'absence d'or et d'argent se sont vus épargnées d'une expansion massive de la population et d'un phénomène d'urbanisation accéléré. On notera en passant la critique qu'en fait Matt (Jon Bernthal) à propos des grandes métropoles telles que New York, Chicago et Los Angeles, les jugeant comme trop touchées par le crime. Mais attention, je n'ai pas aimé ce film juste sous prétexte qu'il se passait dans un des plus beaux états américains, promis !
Oubliez Inspecteur Barnaby...
Wind River est un bon thriller moderne prenant la forme d'une enquête policière consistant avant-tout à dénoncer les tragédies endémiques propres aux natif-américains. Dans la volonté de créer une trilogie, le scénariste Taylor Sheridan explore une nouvelle frontière après celle du Mexique, en réalisant lui-même ce qui sera son deuxième long-métrage. Cette fois-ci il s’immisce dans celles se trouvant entre les natifs et les "néo-américains", en particulier celles qui délimitent la réserve amérindienne de Wind River.
Et c'est franchement bon ! Le calme plat, l'ennuie et la banalité de l'enquête sont généralement ce que je vois ressortir de certaines critiques-analyses vis-à-vis de ce film et je ne suis pas du tout de cet avis. Ce polar a au moins le mérite d'écarter toutes les scènes à rallonge détaillant les interrogatoires dans lesquels les fédéraux vomissent leur jargon incompréhensible. Ici, pas de mise en scène d'agent détraqué ou complètement submergé par le travail trinquant avec une bière, pas de grosses batailles finales, pas de bizutages clichés entre policiers et agents fédéraux pour montrer qui a la plus grosse.
Introspection au sein de la réserve amérindienne Wind River.
L'histoire est construite sous la même forme que celle de Sicario avec peut-être, une mise en scène en deçà de ce qu'avait proposé Denis Villeneuve. Puis qu’ici la réalisation atténue souvent toute possibilité d'immersion, et d'observation d'une communauté que le spectateur n'a pas coutume de côtoyer. La pâte du réalisateur n'en n'est peut-être pas la cause, les possibilités de tournage étaient peut-être différentes compte-tenue de la tension qu'il peut y avoir au sein des réserves amérindiennes.
Néanmoins, tout comme Sicario, nous avons un personnage féminin qui se retrouve en territoire inconnu et qui découvre avec grand intérêt (et crainte) un autre monde, une autre culture et toutes les problématiques qui vont avec. Un personnage masculin l'accompagne dans une aventure initiatique et inspiratrice et pour le personnage féminin, et pour le spectateur. Tiens, cela fait rappeler le duo Blunt/Brolin dans Sicario.
Utiliser la thématique séduisante du viol, pour dénoncer l’exclusion sociale aux Etats-Unis ?
Les camarades qui souhaitent voir une Dernière maison sur la gauche version natif-américains, passez votre chemin. L'enquête policière portant sur un viol, est en réalité qu'une façon de creuser des problèmes sociaux, physiologiques et comportementaux d'individus évoluant dans un contexte particulier.
Plusieurs comportements non-désirés par les sociétés tels que la délinquance, la consommation de drogue, d'alcool et le harcèlement ne sont que quelques conséquences notables découlant des problèmes auquel le scénariste souhaite se confronter ; à savoir, l'exclusion sociale et l'indifférence politique vis-à-vis de certains comportements déviants.
La thématique de l'investigation autour d'un viol est certes facile, puisque séduisante pour quiconque recherchant du sensationnel et du tragique. Et pourtant c'est une manœuvre ma foi habile pour y présenter la conjoncture socio-culturelle en territoire autochtone, caractérisée manifestement par l'isolement, la ruralité et la naturalité.
Possibilités de lecture filmique et d'interprétation ?
Par dessus toutes ces histoires de crimes que Taylor Sheridan prend plaisir à raconter, je pense donc que la démarche vise à dénoncer des décisions politiques et historiques qui ont permis jadis de façonner des frontières physiques ou psychologiques poussant à des phénomènes d'exclusion, et ensuite de déviance chez certains individus, qu'ils soient natifs ou non, bien entendu.
Le plus frustrant dans cette histoire, et c'est ce qui est paradoxalement le plus réussi, c'est cette manière d'y faire figurer ce manque d'information à propos des victimes de viol, cette paralysie et cette impuissance de la part des familles touchées par ce genre de tragédies. Oui parce que c'est la réalité des choses, on note cette tension sociale qui touche l'ensemble de la communauté et pourtant on constate cette grande indifférence à l'échelle nationale, et internationale. Ici on est loin du super Bruce Willis qui s'arme de la tête au pied obsédé à l'idée de venger la mort de sa femme, lui qui s'allume une bonne cigarette à la fin du film appuyé à l'arrière d'une ambulance, une main posée sur sa blessure par balle, une autre, posée sur l'épaule du commissaire, le tout en jacassant.
En somme, je trouve ce film très juste dans ce qu'il propose et d'une grande honnêteté. On n'échappe pas à quelques stéréotypes touchant les autorités américaines certes, mais le film fait preuve de bon sens, en expliquant qu'il n'existe pas forcément de gentils et de méchants. Le violeur n'est pas le réel ennemi, c'est la nature représentée par le puma, le loup, les tempêtes de neige, le froid, le vent, la nuit et le silence, qui l'est. C'est donc elle, la nature sauvage et hostile, la raison de ses actes soit-disant. D'ailleurs la jeune fille décède non pas du viol dont elle a été victime mais du froid qui lui a porté un coup fatal.
Interprétation socio-politique proposée : EXPOSER la confusion des frontières et des identités américaines
Ainsi, entre l'échec de la politique américaine, la "cruauté" de la Nature (la nature au sens large du terme, la forêt, le froid, la tempête mais aussi la nature humaine) et le violeur, tout est confus. Cette confusion est justement admirablement bien représentée dans ce thriller. Eh bien oui, si le violeur avait été dans un contexte de vie différent n'aurait-il jamais violé ? Le scénariste montre cette complexité, que ces problématiques dépendent des politiques, du manque de sécurité sans doute, des sociétés mais aussi de chaque individu.
Le problème surtout c'est cette indifférence publique envers la disparition de plusieurs native-américaines dans des endroits où c'est la nature en personne qui tranche les litiges et donne les sentences, c'est de fait le caractère endémique des territoires autochtones, astucieusement décrit par Taylor Sheridan dans cette tragédie policière.. Je pense que les séquences finales avec le violeur permettent d'appuyer davantage mon analyse.
En d'autres termes, Wind River est une déroutante et édifiante tragédie policière gorgée de modernisme prenant à la fois des airs d'un de ces vieux snow-bound westerns, à la fois les traits d'un polar, glaçant de réalisme.
Bien entendu le film n'est pas sans reproche, tant dans le rythme, le background des personnages que dans le pouvoir d'immersion. Toutefois, il se tient, il m'a beaucoup intéressé et m'a réconcilié en passant avec Jeremy Renner que je n'appréciais guère.
Et bon sang ce que j'adore le Wyoming!