En plein boom, les podcasts cherchent la bonne mesure 

Il n’y a jamais eu autant de podcasts. Problème : il n’existe aucun outil de mesure d’audience certifiée, à l’image de ce que fait Médiamétrie pour la télévision. Difficile, dans ces conditions, d’attirer les annonceurs.

Par Elise Racque

Publié le 27 septembre 2018 à 18h15

Mis à jour le 14 juin 2021 à 13h05

«Champ d’innovation incontournable » ; « indice d’un nouvel écosystème audio » ; « format amené à révolutionner la radio »... Cette année, le podcast – les inconditionnels de la francophonie imiteront les Québécois et diront « balado » – avait la cote lors des traditionnelles conférences de rentrée des grandes radios nationales. Pendant que Radio France diversifie son offre native (contenus diffusés uniquement sur Internet), amorcée l’an passé, Europe 1 se met en ordre de bataille en lançant Europe 1 Studio, une équipe d’une dizaine de personnes dédiée à la production numérique.

Petit rappel de terminologie : le podcast dit « natif » ou « original » est un format audio plus ou moins long, produit pour une diffusion exclusive en ligne – il ne passe donc pas à l’antenne. En revanche, les podcasts dits « de réécoute » ou « de rattrapage » reprennent, à la manière des replays (ou des préplays) télévisés, des émissions diffusées sur la grille de la radio, disponibles et téléchargeables par les auditeurs-internautes sur les sites des stations.

Les natifs, lancés par le pionnier Arte Radio en 2002, attirent désormais de nombreux studios de production privés et mobilisent des stratégies au sein des radios nationales. Les podcasts de réécoute sont eux devenus incontournables – selon la Direction stratégie et développement de Radio France, ils représentent actuellement 13 à 15 % du volume d’écoute de France Culture par exemple. Au moins un tiers des personnes qui les téléchargent écoute ces émissions exclusivement en podcasts, et jamais en direct.

Chacun ses chiffres

Problème : le marché du podcast a beau être en plein boom, il n’existe encore aucune mesure d’audience commune certifiée ni pour le natif ni pour la réécoute. Les groupes de travail se multiplient, notamment au sein de la commission Audio Digital du Geste (Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne), mais la tâche est d’autant plus ardue qu’il existe mille et une manières de télécharger un podcast : directement sur le site Internet de l’éditeur, ou via l’une des innombrables plateformes qui les regroupent (iTunes, Deezer, Spotify, ou tout récemment Google Podcasts...). Enième obstacle : il est aussi difficile de connaître le taux de conversion de ces formats, c’est-à-dire la part des podcasts téléchargés qui sont réellement écoutés.

Chacun se débrouille donc comme il peut, avec des mesures autoproduites. « Avec d’autres éditeurs, on a commandé une étude à Médiamétrie pour connaître le profil de nos auditeurs-internautes… Mais sinon on se débrouille avec nos propres chiffres. On compile le nombre de téléchargements sur notre site et sur les autres plateformes, et on transmet ces résultats à Médiamétrie pour vérification », explique Serge Schick, directeur de la stratégie des publics et du développement des marques à Radio France, non sans cacher son impatience. « Ces croisements de sources ne sont pas un procédé simple à présenter à nos partenaires et à nos annonceurs. Je préférerais qu’il y ait une mesure d’audience de marché ; ça simplifierait beaucoup les choses car la situation actuelle n’est pas confortable. »

Même son de cloche du côté d’Europe 1, qui vient de lancer son pôle de production de podcasts, présenté comme « un incubateur de talents destiné à devenir un acteur extrêmement puissant du marché à très court terme ». Pour réaliser cet objectif, la station mal en point de Lagardère compte bien monétiser ces nouveaux contenus, et a donc besoin d’une mesure d’audience fiable à présenter aux annonceurs. « On pense que la radio en ligne a besoin d’être mieux mesurée, c’est important pour développer le marché publicitaire… On travaille donc beaucoup sur un agrément entre les acteurs, nécessaire mais difficile à mettre en place », nous confiait ainsi le directeur du numérique Olivier Lendresse lors de la présentation d’Europe 1 Studio.

Des premières mesures encourageantes

Ces derniers mois, quelques bonnes nouvelles ont tout de même rassuré annonceurs et producteurs, au rythme des rares chiffres distillés ici et là. Ce furent d’abord les données fournies (après moult réclamations) par le service d’Apple Podcasts Analytics, lancé à la toute fin 2017. Les premiers chiffres de cette fonctionnalité ont révélé que les auditeurs-internautes écoutent les podcasts dans leur quasi-totalité.

Plus surprenant : très peu d’entre eux passent les messages publicitaires intégrés au début, au milieu ou à la fin des contenus – souvent pris en charge par la voix du présentateur ou de la présentatrice. Au printemps, une étude de Médiamétrie (à laquelle ont notamment souscrit les stations de Radio France, RTL et Europe 1), a, elle, rasséréné les acteurs du marché français sur le taux de conversion des podcasts : 81 % des podcasts téléchargés sont écoutés.

« Le marché existe bel et bien, et aujourd’hui les annonceurs et les agences n’ont pas besoin d’une mesure de marché pour se développer », assure Jean-Paul Dietsch, le directeur en charge des certifications à l’ACPM (Alliance pour les chiffres de la presse et des médias).

Il n’empêche que les éditeurs restent insatisfaits face à ce vide de données officielles produites par un tiers de références, et misent beaucoup sur la nouvelle mesure d’audience annoncée par Médiamétrie, dite « individuelle portée ». Actuellement testée, cette technique – qui recueille automatiquement les audiences grâce à un audimètre miniature porté en permanence par un panel d’auditeurs représentatifs de la population française de plus de 13 ans – pourrait remplacer la 126 000 Radio les prochaines saisons (la mesure d’audience de référence de la Radio en France). « Cette nouvelle mesure, même si elle n’entrera pas dans les détails, devrait régler le problème en partie, en nous renseignant par exemple sur le volume d’écoute des podcasts », espère Serge Schick, qui rencontre aussi régulièrement les hébergeurs comme Apple, pour les pousser à fournir davantage de données.

Et les podcasts natifs ?

Mais si Médiamétrie planche effectivement sur les moyens de mesurer l’audience récoltée par les podcasts de réécoute, les podcasts natifs restent encore en retrait dans les réflexions en cours. « On se concentre pour le moment sur la radio en tant que telle, et non sur l’audio parlé », nous explique ainsi Julie Terrade, directrice du pôle radio de la société. Dans les études déclaratives en cours, on n’incite pas forcément les éditeurs à déclarer leurs podcasts natifs. »

La plupart des grandes radios ont d’ailleurs pour l’instant intérêt à plaider pour une mesure de marché commune aux deux types de podcasts, comme le rappelle Serge Schick pour Radio France : « Nous sommes leaders sur la réécoute, et nous commençons tout juste à produire des contenus natifs, qui représentent pour l’instant seulement 2 à 5 % des téléchargements mensuels. Contrairement aux nouveaux studios de production consacrés uniquement au natif, nous ne sommes pas un acteur entrant sur le marché de la radio… donc une mesure sur le natif dissociée de la radio ne serait pas dans notre intérêt. »

De leur côté, moins sûrs de leur force que les radios traditionnelles, les studios de production privés qui essaiment depuis trois ans (Binge Audio, Nouvelles Ecoutes, Louie Media…) commencent à s’organiser grâce à des outils plus spécifiques. Tous les trois mois depuis janvier, un petit groupe d’éditeurs publient ainsi les chiffres d’écoutes qu’ils obtiennent via l’hébergeur Podtrac, déjà utilisé sur le marché américain. Quatre au début, ils étaient sept lors de la mesure publiée en mai dernier, et aimeraient regrouper à terme une quinzaine de plateformes.

Un frein à la commercialisation

« Sans mesure partagée, pas de business. Il fallait prendre date, commencer à rassembler les différents acteurs professionnels du secteur, pour pouvoir donner une tendance du marché aux partenaires et annonceurs, détaille Joël Ronez, cofondateur de Binge Audio, qui fonctionne grâce à des productions commerciales. Cela reste un baromètre, il nous manque un tiers certificateur. » De son côté, Médiamétrie propose une « mesure trafic », qui dénombre les ouvertures de liens et de téléchargements. « Ce serait un premier pas pour les éditeurs de podcasts natifs », avance Julie Terrade.

Si une mesure d’audience de marché des podcasts au sens large ne devrait pas tarder, il faudra donc attendre pour voir naître, dans un second temps, des chiffres officiels plus précis sur le succès rencontré par les podcasts natifs en particulier. « A un moment donné, ils apparaîtront forcément dans la mesure, car il y en aura de plus en plus. De mon point de vue, il est assez probable que la part des podcasts natifs dans les téléchargements de podcasts double d’ici à 2020 », prédit Serge Schick.

Conscient que « l’audio parlé » est amené à prendre de plus en plus de place à côté de la radio traditionnelle, il examine déjà comment Radio France pourrait financer et monétiser ces nouveaux formats, dans le contexte des économies actuelles demandées par le gouvernement. « On imagine des contenus coproduits, car on ne pourra pas créer des podcasts natifs en série sans partenaires ni financements. Cette nouvelle manière de faire de la radio doit aussi être un moyen de toucher de nouveaux publics… L’innovation technologique est intéressante lorsqu’elle ouvre sur une innovation éditoriale, qui elle-même ouvre sur une innovation marketing. » A l’antenne ou en podcasts, business is business.

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